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Les syndicats en Belgique 3/3 1943-1962

Le revirement patronal

 

1941 : les syndicats réformistes reçoivent un soutien inattendu

Lors de l’exposé précédent, nous avons vu que, après la victoire allemande en 1940, la majorité des hauts responsables socialistes, du parti comme des syndicats, avaient tenté de négocier un compromis, voire leur intégration à “l’ordre nouveau”. Cette tentative déboucha sur la création d’un syndicat unique aux tendances fascisantes, l’Union des travailleurs manuels et intellectuels (UTMI), sous la direction de Henri De Man.

L’ancien secrétaire général de la CGTB, Jospeh Bondas, était un des rares dirigeants syndicaux à s’opposer à cette perspective.

Mais au sortir de l’hiver 1941, c’était un homme isolé, sans boulot, soumis aux pressions et aux menaces des dirigeants nazis qui tentaient de lui extorquer le contrôle de comptes bancaires et des avoirs de son syndicat.

Quelques mois plus tard, en août 1941, alors que la vague de grèves qui avait commencé au printemps en Wallonie se poursuivait à Bruxelles et en Flandre, Bondas fut invité par le bourgmestre socialiste de Liège (Bologne). Quelle ne fut pas la surprise du leader syndical de trouver réuni dans le salon du bourgmestre, le conseil d’administration d’un des plus gros complexes sidérurgiques du pays (Ougrée-Marihaye).

Le président du groupe, et principal actionnaire, le baron de Launoy, prit la parole pour expliquer à Bondas que eux, les patrons de la sidérurgie liégeoise, approuvaient sa tentative de reconstruire des syndicats socialistes clandestins, et qu’il pouvait compter sur leur soutien… financier entre autres.

Cette initiative n’était pas isolée. A Gand, les organisations du patronat catholique, sous la direction de l’industriel L. A. Bekaert, firent des offres semblables aux dirigeants de la CSC qui commençaient à craindre de se faire dévaliser par l’UTMI.

Mais davantage que les syndicats chrétiens, c’étaient surtout les syndicats socialistes qui étaient l’objet de la sollicitude du grand patronat.

En août / septembre 1941, la plus importante organisation patronale, le Comité Central Industriel (CCI, ancêtre de la FEB), désignait en son sein un responsable, Paul Goldschmidt, pour prendre contact avec les chefs de file socialistes en rupture avec les nazis et leurs alliés dans le mouvement ouvrier belge.

Quel revirement de la part du CCI ! Un an à peine auparavant, en juillet 1940, il exultait devant la décision de l’autorité d’occupation allemande “d’interdire les syndicats politiques”, “d’abolir le régime des commissions paritaires” et de dissoudre le Parti socialiste (comme tous les autres partis).

Que s’était-il passé pendant ce laps de temps?

Une vague de grèves s’était étendue sur le pays qu’aucune menace, aucune arrestation de meneurs n’avaient pu enrayer. Finalement, ce fut l’autorité militaire allemande qui fit pression sur les employeurs pour qu’ils concèdent une augmentation des salaires de 10%!

Les patrons durent constater que si un décret militaire pouvait dissoudre légalement les organisations ouvrières, il ne pouvait pas faire disparaître les militants ni effacer la conscience de classe de centaines de milliers de travailleurs.

Les patrons purent observer aussi que la grève avait soudé une fraction importante des travailleurs autour des militants communistes, qui avaient été les principaux organisateurs du mouvement.

Ces militants entreprenaient désormais d’organiser leurs camarades de travail au sein de Comités de Luttes Syndicales (CLS) clandestins, bien plus radicaux que ne l’avaient été les syndicats socialistes dissous un an plus tôt.

Bien sûr, ce n’étaient pas quelques milliers de militants communistes qui faisaient peur au patronat. C’était de leur part une adaptation à l’évolution de la situation internationale.

Après la Bataille de Londres (août / septembre 1940) et l’invasion de l’URSS (juin 1941), il n’était plus sûr du tout que l’Allemagne allait gagner la guerre. Et, si elle devait la perdre, cela signifiait qu’il allait être impossible d’utiliser encore, contre les travailleurs, des méthodes dictatoriales.

C’est dans ce contexte que la montée de la combativité ouvrière les inquiétait et qu’ils s’efforçaient d’aider à la remise sur pied d’appareils réformistes assez puissants pour maintenir les luttes des travailleurs dans certaines limites. Comme ils l’avaient réussi en 1918, face à la menace de la révolution russe.

Dès ce moment, des moyens financiers considérables commencèrent à pleuvoir sur les dirigeants réformistes. Car à travers le CCI, ce sont tous les réseaux de la grande classe capitaliste qui allaient se mobiliser pour aider à la reconstruction des organisations réformistes.

Alexandre Galopin, gouverneur de la Société Générale, le plus gros holding financier du pays, directeur de la Banque Nationale, et qui dictait au gouvernement sa politique en matière économique, (une politique de collaboration économique avec l’Allemagne), accorda discrètement un subside de 1 million de FB à Bondas.

Le gouvernement belge en exil à Londres, fit parvenir par ses services secrets, 1,5 million de FB pour la reconstruction du Parti socialiste.

En juillet 1940, les grandes banques belges avaient créé un organisme de prêts destinés aux entreprises en difficulté, la Caisse d’assistance et de prêts (CAP). Mais dès l’automne 1941, la CAP donna ses subsides pour entretenir tous les cadres socialistes réfractaires privés de leurs revenus par les Allemands.

Ces subsides permettaient aussi le financement du réseau “Socrate” par lequel les syndicats socialistes clandestins fournissaient une allocation financière, de l’aide matérielle, des faux papiers, un réseau de planques, aux travailleurs qui voulaient échapper au travail obligatoire en Allemagne. D’après A. Renard, responsable du réseau sur Liège, 7, 3 millions de FB ont été distribués par l’intermédiaire de 145 agents pour soutenir 1400 réfractaires. Soit, en fait, la base militante sur laquelle il pouvait s’appuyer pour disputer le contrôle des nouveaux syndicats aux communistes, dans la sidérurgie liégeoise.

La bourgeoisie choisit la social-démocratie…

Le soutien patronal aux socialistes continua à aller croissant au fur et à mesure de l’évolution mondiale des rapports de force militaires. En janvier 1943, après la défaite allemande à Stalingrad il devint évident que, non seulement l’Allemagne avait perdu la guerre, mais que l’Union Soviétique allait en sortir comme une grande puissance victorieuse.

Parmi les populations d’Europe de l’Ouest, la popularité de l’Armée Rouge était grande, et la force de l’Etat ouvrier impressionnait même les travailleurs les plus modérés et les plus fidèles aux vieilles organisations réformistes.

La classe capitaliste ne craignait pas les dirigeants soviétiques, elle savait que ce n’étaient plus des révolutionnaires. Mais elle craignait son propre discrédit aux yeux de la population. Les bénéfices engrangés pendant la guerre étaient scandaleux: chaque année, 2 milliards de FB furent redistribués comme dividendes en 41-42 pour une masse salariale annuelle de plus ou moins 10 milliards.

La bourgeoise craignait aussi le discrédit de tout le personnel politique, de tous les appareils de répression engagés dans la collaboration avec l’occupant.

C’est pourquoi, en Belgique, la bourgeoise décida de confier les responsabilités gouvernementales après la guerre à un parti, bénéficiant de liens avec la classe ouvrière, capable d’être écouté d’elle et d’obtenir sa confiance, le Parti socialiste.

… et ses soutiens syndicaux

Et ce lien, ce ne pouvait être que les syndicats, en particulier, dans le contexte de l’époque, les syndicats socialistes.

Cela impliquait, de la part du patronat, d’accepter une croissance numérique importante des cadres syndicaux, pour aider à la constitution d’un appareil présent partout, capable de fidéliser à ses perspectives de modération sociale des représentants issus du monde ouvrier.

C’est pour poser les bases de tels appareils syndicaux que les représentants patronaux (du CCI) et les responsables syndicaux socialistes et chrétiens, s’engagèrent ensemble dans un “Pacte social” en mai 1944, un mois avant le débarquement américain.

Ce pacte contenait deux volets.

Le premier volet organisait la sélection, la formation et l’encadrement de responsables syndicaux par une série d’organismes de conciliation sociale. A la base se trouve le Conseil d’Entreprise, au sein duquel la représentation syndicale est assurée par une délégation élue lors “d’élections sociales” (dans les entreprises de plus de 50 salariés).

Aux étages supérieurs, il y a les commissions paritaires, organisées par secteur industriel, dans lesquelles des représentants patronaux et syndicaux concluent des “ conventions collectives” sur l’évolution des salaires et des conditions de travail.

Tout en haut, les sommets de la hiérarchie syndicale sont admis à siéger dans le Conseil d’Administration de la Banque nationale et dans le Conseil central de l’économie, aux côtés de représentants patronaux et politiques.

Là évidement, ils pèsent moins “sur les orientations économiques et sociales”, comme ils aiment à le dire, qu’ils ne sont eux-mêmes influencés et préparés à défendre une perspective générale, conforme aux intérêts de l’heure de la classe capitaliste, devant les travailleurs.

Par le biais de ces différents organismes et institutions allaient être sélectionnés des milliers de cadres syndicaux dont le véritable job salarié était de parvenir à pacifier, à adoucir les rapports entre classes, et à éviter les conflits.

Le deuxième volet du Pacte social est la constitution d’une série d’assurances sociales destinées à adoucir un peu les aspects les plus intolérables de l’exploitation capitaliste: la misère qu’entraînent la maladie, le chômage et la vieillesse.

C’est ainsi que s’est créé l’Office National de Sécurité Sociale (O.N.S.S.) chargé de gérer les cotisations sociales des employés et, des employeurs ainsi que les subsides de l’Etat, et de les répartir vers les 5 secteurs suivants :

Assurance maladie-invalidité

Assurance pension

Assurance-chômage

Office des allocations familiales

Office des vacances annuelles

C’est le grand patronat qui décide, y compris pour le petit, que tous les employeurs doivent désormais cotiser à ces caisses d’assurance, compensant ainsi très partiellement les aspects les plus violents de l’exploitation.

En réalité, cette « cotisation patronale » était une part de salaire que les patrons ne versaient pas directement aux salariés – mais qui était comptée dans les coûts de productions des patrons – et qui était ensuite répartie au profit des salariés au chômage, malades, accidentés ou en retraite.

Une autre amélioration fut la création d’un mécanisme de liaison automatique des salaires à l’indice des prix à la consommation (index).

Incontestablement, la création de ces assurances sociales, garanties à tous les travailleurs, même dans les secteurs où ils étaient faiblement organisés (PME, travaux agricoles), représentait une amélioration de leurs conditions d’existence.

Mais c’est au nom de ces améliorations, que les ministres et les syndicalistes socialistes allaient être en mesure de demander aux travailleurs d’être patients et d’accepter les sacrifices nécessaires pour “la reconstruction de l’économie” (la bataille du charbon, le salaire au volume extrait pour les mineurs, les bas salaires partout).

Une majorité des travailleurs ne pouvait pas manquer d’être sensible à ce type de garanties et d’adhérer aux organisations syndicales qui en assureraient le bénéfice.

Mais dans le contexte de fin de guerre, de politisation, de mécontentement et de combativité des travailleurs, cela n’allait pas suffire à assurer aux dirigeants réformistes modérés la prépondérance dans les organisations syndicales nées durant le conflit.

La FGTB, issue de la lutte d’influence entre socialistes et communistes

Les modérés minoritaires

En 1945-46, il y avait des Comités de Luttes Syndicales dans les 400 plus grosses entreprises du pays. Ces CLS avaient été, la plupart du temps, créés sous l’impulsion des communistes, qui en avaient la direction et jouissaient de la confiance des travailleurs.

Dès 1945, les CLS se regroupèrent au sein de la “Centrale belge des syndicats uniques” (CBSU).

On peut se faire une idée du rapport de force entre les syndicats “communistes” et socialistes d’après les chiffres des effectifs de la région de Bruxelles.

Avant-guerre, en 1937, le nombre de membres de la CGTB (socialiste) était de 47 200 affiliés. En avril 1945, ceux-ci n’étaient plus que 23 000. En comparaison, la CBSU de la région de Bruxelles comptait 45 000 adhérents.

Devant de pareils chiffres, les dirigeants socialistes sentaient le sol se dérober sous leurs pieds. Bondas s’efforça de convaincre les dirigeants de la CSC de les rejoindre pour former un grand syndicat unique en Belgique, dans l’espoir de diluer au maximum le poids des communistes.

Mais les dirigeants de la CSC refusèrent, craignant eux-mêmes l’influence que les communistes pourraient avoir sur les affiliés chrétiens “au sein d’une espèce de front unique syndical” (H. Pauwels). Et puis bien sûr, ils préféraient rester premiers dans le deuxième ou troisième syndicat, que deuxièmes ou troisièmes (derrière les communistes) dans le premier appareil.

Les Renardistes

C’est là où un courant plus radical au sein des syndicalistes socialistes allait jouer un rôle décisif.

Ce courant s’organisait autour d’André Renard, un permanent de la Centrale des métallurgistes de Liège. Renard s’était formé politiquement durant les années 30, à l’époque où les dirigeants de la CGTB s’efforçaient vainement de conserver le contrôle de leurs appareils à coups d’exclusions de militants syndicaux indociles.

La conclusion qu’en avait retirée Renard était qu’il était impossible à un permanent syndical extérieur, dont l’expérience se limitait surtout à la paperasse et aux négociations, de disputer l’influence sur les travailleurs à des militants implantés dans une entreprise.

Libéré des camps de prisonniers de guerre en 1942, il décide de reconstruire la Fédération des Syndicats des Métallurgistes (FSM, centrale de la CGTB). Il prend contact avec les militants FSM dans les entreprises:

“ Nous avons senti qu’il ne serait plus possible de rebâtir le syndicat ni sur les anciens concepts, ni sur les anciennes méthodes. L’organisation s’imposait, mais on voulait que l’organisation fut ardente et qu’aux idées réformistes matérialistes (dans le sens de « salariales, économiques » par opposition à « politiques ») on substitue les idées larges de la révolution constructive.”

Voilà le climat politique que Renard découvre parmi… les militants syndicaux socialistes. L’activité des militants communistes avait contribué à répandre, parmi les métallurgistes (et les mineurs) une volonté d’action et des idées politiques anti-capitalistes.

Les renardistes ne vont pas hésiter à reprendre les méthodes radicales, le ton anti-patronal, le discours anti-capitaliste des militants communistes.

Ils vont pouvoir profiter de ce que les militants communistes les plus politisés et les plus aguerris abandonnent l’organisation des travailleurs dans les entreprises pour s’intégrer à de petites cellules d’actions pour la lutte armée.

Et les renardistes vont littéralement pouvoir continuer le travail d’organisation syndical là où les cadres communistes l’ont laissé.

Ils organisent le travail syndical à la base, dans les entreprises, pour amener les militants à se mettre à la tête des grèves de protestation contre les problèmes de ravitaillement, puis, à partir de 1943, contre les menaces de déportation collective des travailleurs pour aller travailler en Allemagne.

Cette menace mobilise massivement les travailleurs de Liège, Namur et Charleroi. Par milliers, parfois par dizaines de milliers, ils participent aux grèves, aux actions de sabotage de la production, par le ralentissement général du travail, par les malfaçons, par les jours chômés.

Les travailleurs mesurent leur force en voyant l’impact de leurs actions, les reculs des autorités allemandes (même si des déportations de travailleurs ont bien lieu).

Les industriels belges en profitent, eux, pour se racheter une bonne conduite: le baron de Launoy (Ougrée-Marihaye), l’entreprise Cuivre et Zinc (future Union Minière) financent les actions de la FSM, … tout en acceptant les commandes des Allemands.

Pour en revenir à Renard, la seule chose qu’il refusa absolument de reprendre aux communistes était la lutte armée de petits groupes, ce qu’il considérait comme “suicidaire”.

C’était une appréciation très lucide de la situation et des possibilités de lutte. Les militants communistes les plus en vue des travailleurs qui avaient quitté les usines pour organiser la lutte armée dans de petites cellules clandestines furent décimés par la répression.

Bien sûr, chez Renard, le refus de ce type de lutte correspondait aussi au refus de toute perspective de lutte révolutionnaire pour changer l’ordre capitaliste.

Certes, les escarmouches armées engagées par les militants du Parti communiste étaient pleines d’illusions, mais pour bon nombre de militants ouvriers communistes de la résistance, c’était le début de la lutte armée révolutionnaire.

C’est donc par ces méthodes copiées sur celle des communistes dans les entreprises et les quartiers que les renardistes vont regagner une influence et du crédit auprès de la classe ouvrière, parmi laquelle de nombreux travailleurs avaient été politisés et avaient fait l’expérience de luttes dans des conditions de clandestinité et d’illégalité.

Hostilité aux partis, aspiration à l’unité syndicale

En fait, parmi ces travailleurs politisés, l’état d’esprit est à la méfiance envers les deux partis ouvriers, socialistes et communistes. D’une part, ils n’avaient pas oublié les trahisons des chefs socialistes en 1940. Et même les dirigeants socialistes et syndicalistes qui ne s’étaient pas compromis avec l’occupant, ils leur paraissaient trop hostiles aux luttes et enclins à tout sacrifier à la conciliation avec les bourgeois.

Le Parti communiste de son côté leur inspirait des sentiments ambivalents. Ils avaient confiance dans les militants communistes qui avaient organisé leurs luttes et souvent, les avaient gagnés à des idées de lutte de classe.

Mais ils se méfiaient du Parti communiste, dont la politique leur paraissait trop souvent dictée par l’obéissance aveugle à Moscou.

D’autre part, le PC était stalinien c’est-à-dire, dans les faits ,réformiste et nationaliste, mais son image était peut-être aussi, aux yeux d’un certain nombre de travailleurs, trop liée à l’idée de « révolution », la Révolution russe avait à l’époque à peine plus de 25 ans !

Ces travailleurs exprimaient ces sentiments, dont certains étaient justifiés, par un rejet des partis politiques en général.

Il aurait fallu qu’existent des militants révolutionnaires suffisamment implantés et compétents, pour mesurer si un Parti révolutionnaire aurait pu gagner de l’influence dans cette période ou si ce rejet des Partis socialistes et communistes était un rejet général de tous les partis politiques.

Les organisations dans lesquelles ils se reconnaissaient et auxquelles ils faisaient confiance, étaient ces nouveaux syndicats combatifs, plus démocratiques aussi sans être révolutionnaires, et surtout plus militants, CBSU communiste, MSU (Mouvement Syndical Unifié) renardiste, entre lesquels ils ne voyaient pas vraiment de différence.

Ils aspiraient donc à l’unité entre ces organisations-là, et se méfiaient de tous ceux qui voulaient les opposer.

Ce courant en faveur de l’unité syndicale était très puissant en 1944-45.

André Renard va alors habilement s’appuyer dessus pour pousser une majorité de militants et de cadres de ces nouveaux syndicats, à prendre leur distance vis- à- vis du PC. Il va se faire l’avocat de l’indépendance syndicale vis- à- vis de tous les partis, en défendant l’idée que les syndicats n’ont pas à se mêler de politique, et que les partis n’ont pas à tenter de contrôler les syndicats.

Cette idée est rapidement majoritaire parmi les travailleurs. C’est donc sur cette base de l’indépendance des nouveaux syndicats par rapports aux Partis ouvriers, communiste, mais aussi socialiste, que vont se rassembler les différents groupements syndicaux, qui en gros, réunissent les travailleurs socialistes et communistes, les travailleurs les plus conscients : la CGTB (à prédominance socialiste), la CBSU (communiste), le MSU (renardiste) et la SGUSP (service public, communiste). Leur fusion, le 1er mai 1945, donne naissance à la Fédération Générale des Travailleurs de Belgique.

En quelque sorte, le prix à payer pour que ce nouveau syndicat soit indépendant du PC, c’était qu’il devienne indépendant du Parti socialiste. C’était en réalité une situation plus favorable au travail politique des militants du PC, qui ne pouvaient plus, comme c’était le cas avant-guerre, être exclus par des mesures d’autorité des bureaucrates socialistes et qui avaient entière liberté d’exposer leurs idées et leur point de vue au sein d’un milieu de travailleurs conscients bien plus large que le seul milieu communiste.

De plus, contrairement aux anciens syndicats socialistes d’avant-guerre, la FGTB revendique ouvertement de ne pas se contenter de revendications matérielles, mais d’avoir un but politique radical, la transformation de la société.

Les statuts de la FGTB, qui existent encore aujourd’hui, sont un résumé de la doctrine développée par Renard dans son effort pour intégrer les milieux ouvriers influencés par les communistes: “la Révolution constructive”. C’est un amalgame adroit des idées révolutionnaires et réformistes, destiné à donner satisfaction à la conscience acquise par les travailleurs durant les années de guerre tout en laissant une large latitude aux interprétations et d’applications réformistes.

Mais, à cette occasion, est réaffirmée la lutte des classes, une critique des trusts et de la mainmise du capital financier sur l’économie et la société, le but de l’abolition du salariat et des classes sociales et de la socialisation de la production.

Même symboliques et hypocrites, car ne correspondant à aucune volonté réelle de la part des dirigeants, ces idées et ces thèmes sélectionnent les travailleurs qui s’y reconnaissent, ce qui crée un milieu ouvrier favorable pour les militants « lutte de classe ».

Malheureusement, le PC n’a tout simplement plus les moyens militants pour profiter de cette opportunité. Il manque dramatiquement de cadres ouvriers. Tous les rapports des sections et fédérations communistes de 1945 et des années suivantes signalent le cruel manque de militants capables d’assumer les responsabilités d’un travail syndical et d’organisation des travailleurs.

On peut avoir une idée de l’ampleur du problème en comparant les listes électorales des élections de 1937 à celle de 1946. Les candidats communistes de 1937 étaient, par choix politique, des militants ouvriers expérimentés et entourés d’un large milieu dans le monde du travail. Sur les listes d’après-guerre, 8 sur 10 ont disparu.

Le PC est bien « le parti des fusillés », comme le proclament ses affiches électorales. Mais « fusillés » pour défendre une politique stalinienne contraire aux intérêts fondamentaux des travailleurs.

En chiffres absolus, les effectifs du PC ont augmenté. Mais ce ne sont plus les militants de 37, ni de 41-42. Ceux qui les ont remplacés sont venus au PC sur base de sa politique nationaliste et de lutte terroriste du Front de l’Indépendance. Ce sont souvent des intellectuels, des médecins, des avocats, des artistes, qui ont de la sympathie pour le communisme, mais n’ont aucun moyen d’assumer un travail militant dans les entreprises.

Voilà ce que signifiait “une politique suicidaire”, comme l’avait estimé André Renard. Il ne parlait pas du danger encouru par les individus. Il voulait dire que c’était un suicide de l’organisation.

Pour mettre la mesure à son comble, le PC va ruiner ses faibles forces en quelques années. De mars 46 à mars 47 il forme “un Gouvernement des gauches” avec le PSB.

La bourgeoise laisse aux partis ouvriers le soin d’assurer l’ordre, le désarmement des résistants, et la protection de la propriété privée capitaliste, dans un contexte où la police qui a collaboré jusque durant les derniers mois aux déportations n’est pas la mieux placée pour le faire.

Et puis les 5 ministres communistes sont placés dans des ministères, comme le ravitaillement, où ils doivent affronter le mécontentement populaire.

La situation change avec le début de la guerre froide, dont le signal est lancé par le plan Marshall. Le PC quitte le gouvernement et se lance dans une tentative de déstabilisation politique qui se veut un soutien à l’URSS.

Dans une politique aventureuse, le PC déclenche des manifestations armées, des grèves, complètement à contre-courant du reste des travailleurs. En 1948, lors de grèves déclenchées contre le plan Marshall, des milliers d’ouvriers qui ont suivi les communistes sont licenciés, dont 800 à la Poste centrale de Bruxelles, bastion du PC depuis 1941.

La perte de crédit et d’influence du parti est rapide, comme le révèlent les élections d’après-guerre. Si on regarde les résultats en Wallonie, où le PCB est le plus implanté et où se trouve le gros de l’électorat ouvrier, on observe le recul : élections de 1946 : 21% des voix; 1949 : 12%; 1950 : 7,9%…

Le dévoiement nationaliste du mouvement ouvrier

La Question royale

Pourtant, cet effondrement du PC ne va pas entraîner un recul correspondant de la combativité et de la conscience des travailleurs. C’est ce que met en évidence la Question royale en 1950.

De quoi s’agissait-il ?

Aux élections de 1949, le Parti socialiste, au pouvoir depuis la fin de la guerre, subit un désaveu de la part de ses électeurs et les partis de droite, PSC et libéraux, obtiennent une confortable majorité.

Les milieux bourgeois veulent mettre à profit ce déplacement des forces électorales vers la droite pour remettre en cause les concessions faites en 1945 aux travailleurs et aux organisations réformistes, afin d’augmenter leurs profits.

Cette offensive est liée à un aspect symbolique, le retour du roi Léopold III sur le trône. Dans le parcours personnel du roi, beaucoup de bourgeois et de petits- bourgeois peuvent en effet se reconnaître: ils ont plus ou moins sympathisé avec l’ordre nouveau en 1940, ont accepté la présence de l’armée allemande ou ont même été collabos durant la guerre et ils ont fait profil bas à la libération.

Le retour de Léopold III est pour eux l’occasion de tourner la page de 1945 et de renvoyer aux oubliettes les espoirs de changements sociaux des travailleurs.

C’est du reste bien ainsi que le comprennent les travailleurs, qui sont largement hostiles à Léopold III.

Le PSB, qui s’était débarrassé de la concurrence du PC sur sa gauche, n’hésita pas à enfourcher ce sentiment pour mener son propre combat politique: contre ses adversaires électoraux catholiques. Les leaders et la presse socialistes firent monter l’indignation pendant des mois, en retrouvant des accents anti-royalistes et républicains.

L’appareil et la direction de la FGTB avaient des motivations plus profondes pour se lancer dans la bagarre. Ils craignaient que le retour du roi ne soit aussi le début d’une remise en cause de leurs prérogatives et de leur rôle.

C’est ce qu’explique Renard quand il préconise que la FGTB mette toutes ses forces dans la lutte électorale de 1949 pour le PSB et contre le parti social-chrétien qui soutient le retour de Léopold III:

« Il faut s’engager à fond dans la campagne électorale (…). Il s’agit de l’instauration d’un régime démocratique à base économique et sociale et qui donne toutes ses chances de réaliser notre programme, ou de l’instauration d’un régime à base de pouvoir personnel, à base corporatiste qui jugulera surtout les syndicats. »

Les remises en causes des appareils se doublent d’attaques contre le régime des pensions et la sécurité sociale. Sous l’effet de la mobilisation du parti et du syndicat socialistes, le mécontentement monte chez les travailleurs.

Le 12 mars 1950, un référendum est organisé pour légitimer le retour du roi. Il donne une majorité de OUI, mais les travailleurs des centres urbains et industriels, en Flandre comme en Wallonie ont voté contre en très grande majorité.

La direction de la FGTB décide alors de jouer un atout. Le 21 mars 1950, lors d’une réunion du bureau national de la FGTB, André Renard évoque “l’idée fédéraliste” comme “un moyen puissant” pour faire plier le roi et le pouvoir.

En clair, un chantage au séparatisme de la Wallonie pour que le roi renonce au trône.

C’est avec cette idée en tête que Renard se rend au “Congrès wallon” à propos de la “Question royale”, qui se tient à Charleroi le 26 mars. Ce “Congrès” est organisé par un mouvement d’autonomistes wallons… jusque-là groupusculaire.

S’adressant aux congressistes, A. Renard leur dit:

« Nous vous apportons les forces organisées de 85 000 travailleurs de Liège. Il est certain que les autres fédérations suivront. C’est l’armée du travail qui vous rejoint »

« Quand le roi sera rentré, on donnera un aliment particulier aux grèves, les Wallons devront parler de la nécessité pour eux de détacher leur région d’une région cléricalisée. » (l’Eglise, influente en Flandre, avait donné comme consigne de voter OUI au référendum).

Bien sûr, il y a dans le chef de Renard une grande part de bluff. On n’apporte pas, comme un paquet, la conscience politique de 85 000 travailleurs, à un groupe inexistant sur le plan politique.

C’est un bluff aussi à l’égard du gouvernement belge, car il spécule bien sûr sur le fait qu’il va reculer, et là-dessus, son calcul va s’avérer juste, grâce à la tournure des événements.

Car la classe ouvrière va réagir. Des grèves spontanées éclatent lors de la victoire du OUI au référendum, en mars. Mais c’est surtout lors du retour du roi en Belgique, fin juillet, que démarre une impressionnante vague de grèves partout dans le pays, mais surtout en Wallonie où se trouve le gros de la classe ouvrière. Il y a des attentats à l’explosif, des émeutes contre lesquelles la gendarmerie tire en faisant plusieurs morts.

Mais les grèves ne cessent pas, et des groupes de travailleurs ressortent les armes de la résistance pour défendre les piquets de grève. La presse bourgeoisie parle de mouvement insurrectionnel.

C’est dans ce contexte, alors que des rapports de la sûreté de l’Etat sur l’existence de piquets armés sont déposés sur les bureaux du cabinet du roi et des ministres, que la menace séparatiste de Renard va être prise au sérieux.

D’autant qu’au sein de la FGTB wallonne comme de l’aile francophone du PSB, se mettent en avant une série de seconds couteaux qui semblent prêts à tirer parti d’événements dramatiques, comme des heurts armés entre la population et la police, pour se lancer dans l’aventure d’une indépendance wallonne. Renard accepte déjà un poste de ministre de la défense dans un gouvernement wallon potentiel.

Bien entendu, une sécession de la Wallonie dans ces circonstances n’aurait rien eu à voir avec une révolution socialiste. La sécession de la Belgique des Pays Bas en 1830, par exemple, était sortie d’une émeute populaire victorieuse, sans que cela entraîne le moindre progrès social.

Mais le pouvoir belge va effectivement reculer devant ce risque de sécession. Le roi Léopold III abdiquera en effet pour laisser la place à son fils, Baudouin Ier.

En attendant, le mouvement wallon était sorti de l’anonymat. Il n’allait, bien entendu, pas susciter l’engouement immédiat des travailleurs wallons. Mais c’était une perspective qui avait été donnée aux cadres intermédiaires des appareils syndicaux, qu’ils allaient reprendre au fil des années et défendre parmi les travailleurs.

D’autant que les dirigeants du PSB, majoritairement francophones, se dédouanèrent de leur propre manque de perspectives devant les travailleurs en expliquant que la réalisation des transformations sociales qu’ils attendaient était impossible dans le cadre d’un Etat belge dominé numériquement par une population flamande rurale, catholique et royaliste.

Le déclin industriel wallon et l’essor de la Flandre

À la fin des années 50, une circonstance va favoriser l’impact des idées d’autonomie wallonne : le déclin industriel.

Les charbonnages wallons ne sont plus concurrentiels avec les gisements à ciel ouvert exploités aux USA et le pétrole commence à remplacer le charbon comme combustible industriel. Les charbonnages ferment les uns après les autres, suscitant une inquiétude croissante parmi les travailleurs.

La sidérurgie, autre principal pourvoyeur d’emploi, paraît elle aussi menacée par son retard technique. Les capitalistes ont très peu réinvesti leurs bénéfices dans de nouvelles industries en Wallonie; en fait ils les ont surtout placés dans des prêts lucratifs à l’étranger… ou en Flandre.

Car, parallèlement, la Flandre commence son envol économique, et bénéficie notamment d’importants investissements américains, dans l’industrie automobile, notamment (Ford, Opel-GM). Le gouvernement belge consacre de gros moyens pour développer des infrastructures, dans le port d’Anvers, le réseau d’autoroutes, le réseau ferré, pour se mettre au service de ces capitalistes, comme le font toujours et partout les gouvernements.

A cette occasion, l’aile wallonne de la FGTB va ressortir son programme de réforme de structure et l’accoupler avec la revendication d’autonomie de la Wallonie.

Les renardistes expliquent que le gouvernement belge est dominé par des partis flamands qui se moquent des problèmes de la Wallonie et qu’elle ne pourra résoudre ses problèmes qu’en prenant son destin en main.

Ce discours passe pour radical et anti-capitalistes car il dénonce la mainmise des trusts sur la vie économique et préconise leur nationalisation ainsi que celle des banques et de l’énergie.

Mais impossible, prétendent les renardistes, de réaliser un tel programme tant que l’on sera soumis à une Flandre catholique. Seule une Wallonie autonome aurait une majorité socialiste qui pourrait le réaliser.

Malheureusement, aucune force politique, ni le PC, ni l’extrême-gauche, ne tente de dénoncer ces illusions et ce discours nationaliste devant les travailleurs.

Pire! Le groupe de la IVème Internationale, qui milite clandestinement au sein du PSB dans le groupe “la Gauche”, contribue à confirmer l’image de Renard comme leader ouvrier radicalement anti-capitaliste :« L’aile gauche (de la FGTB) subit l’empreinte de la forte personnalité d’André Renard. Le dirigeant dynamique des métallurgistes de Liège avait conservé de sa jeunesse de fortes sympathies anarcho-syndicalistes (…) Renard avait compris fort tôt l’impasse d’une politique syndicale qui se contente de lutter avec le patronat pour une meilleure répartition du revenu national. Il réclama une politique syndicale plus dynamique, plus radicale, qui mettrait le régime capitaliste lui-même en question. »

Ernest Mandel, “La Gauche”, 1964

À ce portrait très flatteur, il est utile de comparer celui qu’en faisaient les services d’informations de l’Ambassade britannique à Bruxelles, dans l’immédiat après- guerre : « En privé, il abandonne la touche de trotskysme dont il assaisonne ses discours publics; et son anarcho-syndicalisme se réduit à la croyance que, compte tenu de l’actuelle situation politique en Belgique, il y a encore une certaine place pour l’action en marge des institutions. »

Quel dommage que les travailleurs qui lisaient « La Gauche » n’aient pas pu lire ce genre d’appréciation ! Une majorité d’entre eux n’auraient sans doute pas été du même avis, mais ils auraient été dans un second temps moins pris au dépourvu par la suite des évènements.

Ce débat et ces idées autour de Renard (et de la Gauche) progressent surtout parmi les milieux politisés et syndicaux. Il a forcément un certain impact sur les travailleurs wallons, mais sans aller jusqu’à devenir une réelle aspiration à l’autonomie. Et comme le reconnaît Renard lui-même, “l’idée de solidarité de classe est un sentiment profond dans la classe ouvrière”, qui considère que, « Wallons ou Flamandsles travailleurs sont confrontés à un ennemi commun”.

Un grand merci: http://www.photodaniel.eu/album/greves-generales/

 

 

La grève de 61

C’est d’ailleurs ce que va mettre en évidence la grève de l’hiver 60-61.

À l’origine de cette grève, il y avait la perte de la colonie congolaise, en 1960, et des revenus et des débouchés qu’elle procurait à la bourgeoisie belge.

Le gouvernement social-chrétien d’Eyskens décida de faire voter une “loi unique”, qui était un paquet de mesures destinées à faire porter le coût d’une réorganisation de l’économie belge à la classe ouvrière.

La loi unique portait la part de l’Etat dans les investissements privés à 50%. Pour financer cette décision, de nouveaux impôts furent décidés dont 85% provenaient de la fiscalité indirecte, c’est-à-dire qu’elle pèserait essentiellement sur les travailleurs.

Parallèlement, une série de mesures d’austérité s’attaquait au régime d’assurance sociale et aux pensions. Le droit aux allocations de chômage fut limité dans le temps tout en établissant un système de visites domiciliaires pour contrôler les chômeurs. Enfin, les agents des services publics voyaient leurs cotisations pour leur pension augmenter de 25% et l’âge de leur retraite portée de 60 à 65 ans.

Le PSB proclamait “son opposition irréductible” à la loi mais concrètement, il ne proposait comme perspective aux travailleurs… que de voter socialiste aux élections suivantes, pour abroger “cette loi de malheur” comme on l’appelait.

La FGTB se prononçait pour des manifestations et des actions de grèves pour le 15 janvier, après le vote de la loi au Parlement.

Mais les travailleurs sentent qu’il faut faire pression avant cette échéance.

La centrale CGSP des agents communaux et provinciaux lance à ses affiliés un appel à la grève pour le 20 décembre. L’appel est très largement suivi dans les 2600 Communes du pays. Les enseignants CGSP les rejoignent dans de nombreux endroits. L’attaque contre les pensions vise surtout les agents du service public, ce qui explique leur mobilisation.

Mais spontanément, sans appel de la part des appareils syndicaux, beaucoup de travailleurs du privé les suivent. Le jour même, à Charleroi, ce sont les métallos des ACEC, dont la délégation est dirigée par des communistes, qui débrayent. Ils font le tour des usines métallurgiques, des charbonnages, qui débrayent immédiatement.

La grève s’étend de secteur à secteur, de région à région, trouvant partout des militants pour la propager de leur propre initiative.

Les jours suivants, les centrales de la FGTB multiplient les appels « au calme et à la discipline », mettant les affiliés en garde contre les excités « qui ne représentent personne ». Mais… personne ne les écoute. La grève s’étend aux transports, aux cheminots, aux centrales électriques.

Renard comprend, le premier, qu’il faut se mettre à la tête du mouvement pour en reprendre le contrôle. Il donne la consigne de grève dans la sidérurgie. Les autres centrales suivent les unes après les autres, mais Renard apparaît comme le dirigeant de la grève, impression que renforce l’hystérie de la grande presse.

La grève devient rapidement totale en Wallonie.

En Flandre, elle est forte seulement dans les grands centres urbains, Anvers, Gand.

La CSC éprouve la plus grande peine à retenir ses affiliés de participer au mouvement. L’Eglise, en la personne du cardinal Van Roey, lance par radio un « appel à reprendre le travail à ceux qui obéissent à leur foi ». La CSC en tire prétexte pour justifier son refus de participer au mouvement, devant des affiliés dont bon nombre sont catholiques pratiquants.

Malgré tout, la grève commence à se propager dans des régions plus rurales, malgré une forte opposition des milieux conservateurs. La presse, les petits-bourgeois accablent les grévistes d’injures.

Les travailleurs flamands doivent mener et propager une grève à contre-courant de l’opinion publique flamande, et s’ils en ont la ressource, c’est qu’ils surmontent la pression par le militantisme en se sentant justifiés et poussés dans le dos par l’unanimité de la grève en Wallonie.

Mais les dirigeants réformistes se rendent compte que le pouvoir n’a pas de marge de manoeuvre et qu’il ne reculera pas devant une grève, même générale. Le grand patronat ne reculera que si le pouvoir commence à être mis en cause et s’il craint de devoir faire plus de concessions encore s’il ne cède pas un peu. Mais les dirigeants réformistes n’ont aucune intention d’en arriver là.

Le gouvernement le mesure parfaitement, et mise sur l’épuisement de la grève. Celle-ci s’organise pour durer. Des comités locaux organisent l’accès aux magasins, les transports urgents, le ravitaillement, la fourniture de gaz et d’électricité deux heures par jour, pour assurer à la population un minimum (chauffage, cuisine, éclairage : c’est l’hiver).

La presse bourgeoise réclame des mesure de force pour mettre fin à ce scandale inimaginable d’un ordre assuré par des ouvriers “qui règlent la circulation”, contrôlent l’ouverture et la fermeture des magasins et décident eux-mêmes quelles usines (centrales électriques) et quels services doivent fonctionner, réquisitionnent les locaux publics (écoles) pour faciliter l’organisation de la grève.

La bourgeoisie perd des marchés, les journaux financiers estiment la perte à un milliard par jour. Mais seule la menace d’une organisation de la vie sociale par des comités ouvriers est capable de la faire reculer, car elle craint de voir remise en cause la raison d’être de son état. Si la population sait s’organiser elle- même, à quoi sert un Gouvernement, un Parlement, un appareil d’Etat?

Malheureusement, aucune force politique n’explique aux travailleurs que c’est en cela que réside leur force. Les grévistes sont laissés sans perspectives, et la grève les épuise petit à petit (les ouvriers vivent sur leur quinzaine).

Le PSB et la FGTB organisent des manifestations décentralisées qui épuisent les forces et exaspèrent les travailleurs.

Le 30 décembre : 45 000 manifestants à Charleroi, 10 000 à Mons, 10 000 à Verviers, 8 000 à Jemeppe, 8 000 à Bruxelles. Le 2 janvier : 10 000 à Bracquenies, le 3 janvier : 10 000 à Liège, 15 000 à Herstal, 15 000 à Yvot-Ramet, etc, etc. Même à Liège, les directions réformistes s’efforcent de diviser les manifestants.

Les travailleurs réclament partout une marche sur Bruxelles. Une concentration des grévistes à Bruxelles aurait pour effet d’additionner leur nombre et de leur permettre de mesurer leurs forces. Mais elle révélerait d’autant plus l’absence de volonté des dirigeants socialistes de s’appuyer dessus.

La lutte devient âpre, la police charge, arrête les manifestants, disperse les piquets. Mais les grévistes sont inventifs et ont de la ressource. Les piquets deviennent tournants: ils changent d’entrées, d’usines, d’heures et font courir la police.

Les manifestants apprennent à se disperser lors des charges de gendarmerie et à reformer leurs rangs aussitôt. Des bagarres éclatent. Les jeunes grévistes sont exaspérés, cassent les vitrines des banques, se battent avec la police avec ce qui leur tombe sous la main. 2000 grévistes sont en prison.

Mais les travailleurs, ni en Wallonie, ni en Flandre, ne veulent pas céder. Ils savent qu’une défaite sera pire que les coups et les privations.

La pression monte de la part des grévistes contre le PSB, la FGTB, y compris André Renard. Le 6 janvier, suite à son refus d’appeler à une marche sur Bruxelles devant 45 000 manifestants Liégeois, l’ancienne gare des Guillemins est démolie par la foule folle de rage.

Devant cette pression, et l’absence d’issue, Renard va alors mettre en avant la revendication de l’autonomie wallonne, tout en criant à la trahison de la Flandre, où la CSC est majoritaire.

C’est un coup très dur pour les grévistes flamands, que la presse du Nord accable du reproche d’aider l’autonomisme wallon. Un journal de grève tenu par des grévistes flamands, rétorque “on préfère être soumis à une Wallonie rouge qu’à une Flandre noire”.

Mais le moral est atteint. Livrés à eux-mêmes, ne se sentant plus soutenus par ce qu’ils perçoivent de la grève en Wallonie, les grévistes flamands reprennent petit à petit le travail.

C’est le signal qu’utilisent des appareils en Wallonie pour donner la consigne de la reprise du travail. Certains secteurs tiennent, malgré leur isolement et le manque de perspectives. Le travail reprend définitivement le 21 janvier, après un mois de grève.

Mais l’amertume des travailleurs ne se traduit pas par une prise de conscience politique de la trahison dont ils ont été l’objet de la part des socialistes, en particulier André Renard. Car aucune force politique ne veut le leur dire. Y compris l’extrême gauche qui appuie, de ses faibles forces, l’illusion d’un redressement de la Wallonie à travers… « un pouvoir socialiste » dans cette région minuscule et en plein déclin.

Le Mouvement Wallon

Le Mouvement Wallon a le vent en poupe. La FGTB-Renard se lance dans la construction d’un parti politique, le Mouvement Populaire Wallon (MPW), concurrent du PSB. Renard en sera le premier président en 1961. Ce mouvement bénéficie d’un soutien assez large parmi les militants et les cadres syndicaux.

Le MPW devient le cheval de bataille de nombreux petits arrivistes dans la bureaucratie syndicale, dont la démagogie nationaliste, l’entretien des préjugés anti-flamands, la revendication de l’autonomie wallonne devient une méthode de promotion personnelle.

Le développement de cette concurrence nationaliste wallonne disputant l’électorat au PS en Wallonie finira par provoquer l’éclatement du PSB en PS-SP en 1978.

Finalement, les nationalistes wallons finiront par s’intégrer dans un PS régionalisé et par obtenir des places dans des ministères.

La régionalisation de la Belgique est lancée.

Aujourd’hui, le programme du mouvement wallon est complètement réalisé. La Wallonie est une entité fédérée qui jouit d’une large autonomie et a son propre gouvernement. Et en effet, comme l’avaient calculé les partisans de l’autonomie wallonne au sien des organisations réformistes, le gouvernement wallon est à majorité socialiste sans interruption depuis 1980.

Mais tout ce que ce gouvernement de gauche a été en mesure de faire, c’est d’accompagner le déclin industriel de la Wallonie, l’appauvrissement de la population et la montée du chômage, en utilisant son crédit auprès des travailleurs pour amortir et modérer les luttes sociales.

Faute d’un véritable parti ouvrier pour porter l’expérience de leur classe, les travailleurs wallons et francophones ne sont pas en mesure d’en tirer la conclusion que les régionalistes les ont trompés.

Le venin nationaliste continue à produire ses effets encore aujourd’hui, ne fut-ce qu’à travers la démagogie communautaire dont usent les partis francophones.

Heureusement aujourd’hui, les travailleurs wallons semblent se méfier de cette démagogie, mais ils sont complètement désarmés pour comprendre la situation car ils n’ont pas d’idées pour se l’expliquer et pas de militants pour leur raconter cette histoire.

Pourtant, à travers ces brefs exposés sur l’histoire des syndicats en Belgique, nous avons vu que ceux qui veulent défendre un point de vue de lutte de classe peuvent contribuer à changer le niveau d’organisation et de conscience des travailleurs.

 

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Les syndicats en Belgique 2/3 1939-1943 https://commission-des-pensionnes.cgsp-admi-mons.be/les-syndicats-en-belgique-2-3-1939-1943/ Wed, 12 Feb 2020 04:21:18 +0000 https://commission-des-pensionnes.cgsp-admi-mons.be/?p=332

Les syndicats en Belgique 2/3 1939-1943

Les militants ouvriers et la guerre impérialiste

Un petit rappel…

Jusque dans les années 1990, la FGTB avait conservé, surtout au sein des grandes entreprises, une certaine tradition de militantisme syndical et de défense de principe de classe élémentaire. C’était d’ailleurs aussi le cas, dans une moindre mesure, de la CSC, par le jeu de concurrence et d’influence entre appareils. (De nombreux travailleurs et militants syndicaux ont en effet reçu, notamment à travers le MOC lié à la CSC, une initiation au point de vue marxiste sur la société, l’économie, et les intérêts de leur classe sociale).

Bien entendu, cela ne changeait pas la nature réformiste de ces appareils, ni leur rôle d’instruments de contrôle de l’état bourgeois sur la classe ouvrière. Mais au moins, ces traditions permettaient à chaque nouvelle génération de travailleurs de découvrir ces idées, et de bénéficier de l’expérience de luttes collectives, même cantonnées à un but économique.

Ce militantisme, ces traditions syndicales, ces idées de classes, ne sont pas automatiquement liées à l’existence d’appareils syndicaux. En Belgique, cela provient surtout du rôle et de l’influence qu’ont eus un nombre assez réduit de militants politiques ouvriers, appartenant pour l’essentiel au PC, et c’est ce que nous allons voir ce soir.

Des syndicats hostiles aux militants…

Les appareils syndicaux qui existaient avant la seconde guerre mondiale étaient en comparaison peu, voire pas du tout implantés dans les entreprises. Il n’y avait généralement pas de délégation élue, ni surtout de responsable syndical lié aux travailleurs de l’usine et capable d’être reconnu par eux comme leur représentant légitime.

Dans leurs luttes contre les communistes pour conserver le contrôle des syndicats, les dirigeants syndicaux avaient exclu systématiquement tous les travailleurs un peu trop militants, et les appareils syndicaux s’étaient ainsi réduits à leurs activités de gestion et à un rôle d’assistance quasi-individuelle des salariés.

L’existence de ces appareils dépendait donc en grande partie du soutien financier de l’Etat, que ce soit au niveau des communes, des provinces, ou du gouvernement national. Les permanents, les cadres syndicaux, s’étaient habitués à être “des fonctionnaires” d’un type un peu spécial, dont le salaire dépendait de fait de l’Etat à travers les multiples places dans les organismes de gestion et de conciliation sociale (les commissions paritaires). Ils étaient, bien entendu, très anti-communistes, mais aussi hostiles aux luttes et aux grèves, à tout ce qui menaçait ce rôle de gestionnaires dont ils dépendaient.

… mais des patrons hostiles aux syndicats

Pourtant, même ces syndicats-là étaient devenus trop encombrants aux yeux du patronat belge, en 1939. L’économie mondiale, qui avait connu une brève amélioration en 1935-1936, avait replongé dans la récession dès 1937. Pour sauver leurs profits, les capitalistes étaient de plus en plus convaincus qu’il fallait en finir avec toutes les concessions économiques, sociales et politiques, qu’ils avaient été contraints de faire sous la menace de la révolution russe, au lendemain de la première guerre.

En Italie en 1922, puis en Allemagne en 1933, le grand patronat avait soutenu l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. Celle-ci était parvenue à mobiliser les couches petites-bourgeoises contre le mouvement ouvrier, dont les grèves et l’agitation politique étaient présentées comme la cause de la crise persistante.

Mais en France et en Belgique, cette poussée vers l’extrême droite avait été neutralisée par la montée sociale de 1936.

Quelques mois durant, les petits commerçants, les intellectuels, les employés de banques, les paysans mêmes, regardèrent les ouvriers comme une force capable de s’opposer à la mainmise de la finance et des spéculateurs sur l’économie, et d’apporter une solution à la crise qui soit favorable aux couches laborieuses de la population. Mais faute d’un parti révolutionnaire, le mouvement ouvrier ne put profiter de son élan.

Cependant, ni en France, ni en Belgique, la bourgeoisie ne pouvait s’appuyer sur une extrême droite puissante et populaire contre les travailleurs.

C’est dans ce contexte politique que, de la part des milieux dirigeants, tout un courant de sympathie et d’admiration se développa vis-à-vis de l’Allemagne de Hitler et de l’Italie de Mussolini.

Dès 1937 se développait dans la presse, les milieux gouvernementaux, dans les cercles de la bonne société, les clubs d’universitaires, un discours qui tendait à faire passer l’idée que la cause de la crise était l’instabilité sociale causée par les grèves des ouvriers qui désorganisaient l’économie et dissuadaient les patrons d’investir, ainsi que par les élections qui favorisaient la démagogie des partis et empêchaient des gouvernements stables. Face à cela, la solution était l’instauration d’un pouvoir fort, au-dessus des classes sociales, qui sache imposer le retour à l’ordre.

Ces idées touchaient de larges fractions de la petite bourgeoisie, effrayée par le retour de la crise mais se sentant impuissante devant les grands capitalistes, et qui aspirait à se ranger derrière un homme fort qui la protégerait.

Ces idées commençaient même à gagner les hauts cadres du Parti socialiste d’alors, le Parti Ouvrier Belge. Un exemple, parmi d’autres : le dirigeant du POB, Henri De Man, reçut un mot de Mussolini pour son livre “Au-de là du Marxisme”, lui assurant qu’il “l’avait lu avec attention et intérêt”. H. De Man le remercia en écrivant au dictateur fasciste qu’il “observait l’oeuvre de rénovation sociale entreprise par son régime avec sympathie et espoir”.

Cet état d’esprit parmi les classes dirigeantes en France comme en Belgique explique que les gouvernements et l’état-major n’aient pas fait preuve d’une grande combativité face aux armées de Hitler en 1940.

La défaite et l’occupation

Le patronat à l’offensive

La défaite fut en réalité ressentie par de larges milieux sociaux comme une libération vis-à-vis du mouvement ouvrier et d’une façon plus générale, comme le début d’un retour à l’ordre après une période de chaos social de 10 ans.

C’est que, au début de l’été 1940, la victoire de l’Allemagne paraissait complète et définitive. La France avait capitulé. Les armées britanniques avaient rembarqué en catastrophe. En Belgique, la majorité des responsables politiques et économiques croyaient que s’ouvrait une nouvelle période, où un ordre européen stable allait s’édifier sous la conduite de l’Allemagne.

Parmi tous ceux qui possédaient une influence sur la société, personne ne songeait encore à la résistance, tous se préoccupaient plutôt de parvenir à bien gérer son intégration au nouveau régime.

Du point de vue du patronat, les problèmes semblaient s’être résolus d’un seul coup de baguette magique. L’autorité militaire allemande avait interdit les partis politiques (et donc le Parti ouvrier), les syndicats, les grèves, et imposé le blocage des salaires : le « lohnstopp ».

En théorie, tous les prix étaient censés ne plus bouger, mais en pratique, l’armée allemande avait d’autres chats à fouetter que de surveiller chaque commerçant, et les prix continuaient évidement à évoluer à la hausse. Par contre, les employeurs formaient spontanément un réseau d’indics bénévoles pour dénoncer aux autorités allemandes la moindre velléité de demander une hausse des salaires.

Pour les dirigeants des capitalistes, réunis au sein du Comité Central Industriel (l’ancêtre de la FEB), « de vastes perspectives économiques » s’ouvrent devant les patrons. Gustave L. Gérard, patron de la Banque Bruxelles Lambert et président du CCI, entrevoit que « la conjoncture ouvre de nouvelles possibilités au patronat suite à l’évanouissement des syndicats politiques et l’abolition du régime des commissions paritaires ». En juillet 1940, il envoie une circulaire à tous les industriels où il préconise “de ramener le salaire minimum au niveau de 1936” en l’abaissant de 4 à 3,2 FB. En plus de cette forte diminution des salairesle CCI recommande “la non-application des lois sociales ».

Bien sûr les patrons avaient déjà commencé à agir dans ce sens, en profitant du chômage engendré par la démobilisation des régiments. Mais les directives venant d’en haut confirmaient et généralisaient ce type de pratique, encourageant à aller encore plus loin. Dans l’industrie textile de Gand par exemple, la baisse des salaires atteignit 22%!

Sur le plan économique, les capitalistes belges cherchaient fiévreusement des marchés pour profiter pleinement de l’aubaine que représentait la nouvelle situation sociale et politique. La guerre n’était pas tout à fait finie, l’Angleterre avait l’air de vouloir encore un peu résister, et on ne pouvait pas se mettre mal avec un pareil morceau, même mal en point, en rejoignant au vu et au su de tous, le camp de l’Allemagne. Mais à qui vendre, si ce n’est à l’armée et l’industrie allemandes ?

Pour résoudre ce pénible cas de conscience, les porte-parole du capital financier belge, forts de leurs réseaux et de leurs appuis étendus de Londres à Berlin, vont proposer un cadre législatif qui permette de naviguer entre les exigences contradictoires de la guerre.

La doctrine Galopin, du nom du « gouverneur » de la Société Générale, le plus gros holding financier belge, fixe les grandes lignes de la collaboration économique avec l’Allemagne, en même temps que les indispensables bons sentiments pour la justifier : « Il faut remettre en route la machine industrielle pour éviter de trop faire souffrir les travailleurs, en acceptant toutes les commandes allemandes qui ne sont pas directement liées à l’effort de guerre ».

Des courriers moins officiels précisent néanmoins aux patrons, « qu’il faut bien sûr savoir faire preuve de souplesse et d’imagination dans l’application des directives Galopin ». En bref, les patrons sont encouragés à faire comme d’habitude, comme ils le font aujourd’hui, à contourner les règlements, à tricher sans se faire attraper.

Les travailleurs, qui sont confrontés au chômage, aux licenciements arbitraires, à la hausse des prix et au ‘Lohnstopp’, se tournent vers les cadres et militants syndicaux dont ils attendent des perspectives. Le sentiment d’un nombre croissant de salariés est que, malgré la guerre, l’occupation, il ne faut pas laisser tout passer sans réagir sinon cela encouragera les patrons à attaquer encore et encore.

Les organisations réformistes et l’ordre nouveau

Mais le sort des travailleurs est bien la dernière chose qui tracasse les responsables des appareils syndicaux. Qu’est-ce donc qui les préoccupe ? L’appareil, justement, dont ils dépendent.

Car en 1940, les syndicats étaient déjà de grosses entreprises, avec des rentrées, des dépenses, qu’il fallait équilibrer coûte que coûte. En mai 1940, les dirigeants de la CGTB, qui se sont réfugiés en France à la suite du gouvernement belge, apprennent la capitulation et tiennent conseil sur la conduite à tenir.

Deux dirigeants, Paul Finet et Jef Lens, gagnent Londres pour nouer contact avec les gouvernements britannique et belge en exil. On verra plus tard que c’est un bon calcul.

Les autres, dont Joseph Bondas, le secrétaire général, rentrent au pays de toute urgence pour « réaliser les actifs, vendre le matériel désormais inutile (comme les presses pour l’impression de la propagande), mettre le personnel en préavis et, en attendant, diminuer immédiatement les salaires par deux ». Éviter la faillite, protéger les avoirs, gérer les comptes: on voit quelles sont les priorités pour ces dirigeants.

Mais ce n’est pas tout. L’entreprise “syndicat” doit retrouver ‘une raison sociale’ comme on dit, c’est-à-dire dans ce cas-ci une fonction dans la société qui permettra d’entretenir et de faire vivre l’appareil. Du côté des patrons, on l’a vu, les appareils syndicaux n’ont plus rien à attendre, à part une couronne mortuaire. Alors il leur faut aller voir du côté de l’Etat. De cet Etat belge qui se restructure sous la direction de l’Autorité d’occupation, dirigée et contrôlée pas les nazis, ce qui évidemment n’est pas simple pour des syndicats socialistes.

C’est pourquoi, dans ces circonstances, les chefs de la bureaucratie syndicale et corporatiste se tournèrent vers Henri De Man. De Man était le dirigeant du POB, et donc à ce titre, une espèce d’arbitre et de porte-parole de toutes ces institutions, ces syndicats, ces coopératives, ces mutuelles, qui constituaient le POB jusque-là. L’occupant nazi avait interdit les partis politiques. Soit, mais il restait les organisations, les appareils et tous les permanents qui attendaient anxieusement qu’on leur explique de quoi ils allaient vivre désormais…

De Man était leur homme, car depuis la fin des années 20, il s’était fait le défenseur d’un socialisme débarrassé de la lutte de classe, et prônant un Etat fort pour réconcilier les patrons et les travailleurs. On a vu qu’il s’était taillé une petite popularité chez les fascistes, notamment Mussolini, contents de mesurer leur force par le ralliement moral d’un des chefs de leurs adversaires socialistes.

De Man était donc bien introduit dans les milieux d’extrême-droite italiens, belges et allemands. Il devint dans ces circonstances le négociateur et l’avocat de la bureaucratie ouvrière désireuse de recevoir une place, pas trop petite, dans ‘l’ordre nouveau’.

Le 28 juin 1940, De Man signe un manifeste dans lequel il explique que « le régime parlementaire historiquement dépassé, le rôle politique du POB est terminé ». Les militants socialistes sont invités « à veiller au fonctionnement des œuvres économiques et sociales ». Une majorité des responsables socialistes, non seulement ceux des syndicats mais aussi ceux du parti, vont le suivre sur ce terrain et lancer, en juillet 1940, « la nouvelle CGTB », en signe de rupture avec le passé.

Début août 1940, Isi Delvigne, responsable de la presse socialiste, répond au manifeste de De Man : « au nom des militants socialistes de Liège », Delvigne écrit « tenant compte du fait accompli, et de l’intérêt commun de tous les travailleurs belges[…], ; prenant acte de la suppression de tous les anciens partis politiques rendant caduque l’affiliation des syndicats au Parti ouvrier (nous) estimons que (notre) devoir est de maintenir sur un plan strictement économique et social les organisations ouvrières dans le cadre que le régime qui va naître leur assignera ».

Lors d’une séance de la Centrale du Bâtiment de la CGTB, des dirigeants syndicaux, dont Achille Van Acker (futur ministre en 45, et futur « résistant de la première heure »), votent une résolution d’appui à De Man :

« Remplacement des syndicats par un front unique du travail sur la base coopérative (et non plus de défense contre les patrons) », et pour l’immédiat, « limitation de l’activité syndicale à la perception des cotisations des affiliés, représentation des intérêts ouvriers dans les corps paritaires ou organisations analogues, éducation des membres dans l’esprit du nouvel ordre social. »

Les mots employés sont un peu légers pour se rendre compte de quoi il s’agit. L’esprit du nouvel ordre social, dans lequel les dirigeants de la nouvelle CGTB se proposent d’éduquer les travailleurs, c’est l’esprit du fascisme, c’est le remplacement de la lutte des classes par « une collaboration dans un esprit maison », où les travailleurs sont amenés à regarder la prospérité de leurs entreprises et de leur patrons… comme la leur propre. Peu importent la faim, le chômage, les arrestations, la torture contre ceux qui relèvent la tête.

Les dirigeants socialistes font acte de candidature pour servir le fascisme, mais ils ne sont pas seuls. Il y a aussi la CSC ! Début août 1940, Henri Pauwels, le secrétaire général de la Confédération chrétienne, entre en pourparler avec De Man et les représentants de la « nouvelle CGTB » pour mettre sur pied un cartel de toutes les organisations syndicales en vue des négociations avec l’autorité nazie. Ils « négocient » pour eux, pas pour les travailleurs… Comme d’habitude.

Évidemment, tous ces bureaucrates se regardent en chiens de faïence. Toutes les confédérations syndicales, et au sein de celles-ci, tous les syndicats qui en sont membres, toutes les centrales, toutes les régionales, tous les secrétariats, jusqu’au plus petit trésorier,… tous veulent vivre, conserver leurs places, recevoir une mission et des subsides de l’Etat. Et tous savent qu’il n’y aura pas place pour tout le monde.

Mais ils ne se doutent pas à quel point ils ont raison de broyer du noir au sujet de leur avenir professionnel. Car il y a d’autres milieux sociaux qui attendent une carrière et des places de la part fascisme : l’extrême-droite.

L’impasse de la collaboration

Les partis d’extrême-droite flamands, les ancêtres politiques du Vlaams Belang, (Verdinaso & VNV), avaient, dès la fin des années 30, développé des organisations de type fasciste, comme ‘l’Arbeitsorde’ du VNV. C’était une copie du Front du Travail nazi (Arbeits Front) visant à regrouper les travailleurs par profession, sous l’encadrement de petits chefs et de patrons, afin « d’assurer la paix dans les entreprises ».

Les oppositions entre classes sociales devaient être remplacées par le sens de l’appartenance à une communauté nationale (allemande, flamande, wallonne…) dans l’intérêt de laquelle patrons et ouvriers devaient s’entraider. Ce qui, bien sûr, revenait à mobiliser les travailleurs au service de leurs exploiteurs dans la lutte contre la concurrence des autres pays.

L’Arbeitsorde flamand comprenait un syndicat corporatiste, le Vlaamsche Nationaal Syndicaat (VNS) dont les effectifs s’élevaient à 30 000 affiliés en avril 1940. Bien loin des 500 000 de la CGTB, des 300 000 de la CSC, certes. Mais déjà un effectif suffisant pour fournir un nombre important de petits cadres, petits bureaucrates, tout prêts à servir de surveillants des ouvriers au service du fascisme et à traquer les militants.

Dès septembre 1940, les dirigeants allemands nazis de l’Arbeit Front avaient installé à Bruxelles un bureau, le Dienstelle ArbeitsFront (DAF), dirigé par le « docteur »Voss, pour surveiller la transformation des organisations syndicales en organisations de type fasciste.

Les dirigeants allemands nazis croyaient alors possible de reproduire en Europe et en Belgique ce qu’ils avaient réalisé en Allemagne: la mise sur pied d’organisations de masse qui regrouperaient de force la totalité des travailleurs sous le contrôle de gens dévoués et sûrs qui traqueraient la moindre volonté de résistance.

C’est dans cette optique que le docteur Voss présenta le 8 novembre 1940 un plan pour la transformation des syndicats belges en une nouvelle Union sous le contrôle du DAF. A la grande consternation des représentants des syndicats chrétiens, socialistes et libéraux, le docteur Voss exigeait que le petit syndicat VNS (30 000 affiliés) soit cofondateur de l’Union “sur pied d’égalité” avec la CSC (300 000 affiliés) et la CGTB (500 000). Sur pied d’égalité, cela signifiait bien sûr « à parts égales » dans la distribution des places, traitements et subsides.

Pire ! Les dirigeants socialistes se voient convoqués à des entretiens confidentiels avec les services du DAF. Au cours de ceux-ci, on leur présente des dirigeants de la VNS qui tentent de leur extorquer, sous la menace, le contrôle des comptes bancaires de leurs centrales syndicales. En fait de fusion « à parts égales » comme le présentait le docteur Voss, il s’agissait plutôt de l’association des poules avec le renard.

Mais pouvait-on s’attendre à autre chose de la part de ces militants d’extrême-droite ? C’étaient des petits-bourgeois longuement humiliés par la crise, assoiffés de revanche sociale et remplis de haine vis-à-vis de tout ce qui incarnait l’élan des opprimés vers la dignité, l’autonomie, l’émancipation.

Certes, c’était bien malgré eux que les bureaucrates syndicaux représentaient le mouvement ouvrier. Mais leur position, leur appareil, leurs comptes bancaires et tous leurs « avoirs » chéris, sont justement le résultat des liens de solidarité qui s’étaient tissés entre les travailleurs.

Découvrant, le nez dessus, cette dure vérité, les dirigeants syndicaux renoncèrent à tenter d’intégrer les organisations fascistes. Henri De Man fonda l’UTMI… et resta quasi seul.

La plupart des responsables syndicaux socialistes cessèrent officiellement toute activité. Mais en réalité, à partir de 1941, ils vont clandestinement commencer à se regrouper autour de l’ancienne direction de la CGTB, dirigée Jos Bondas. Celui-ci éditait à l’intention de ces milieux un petit journal qui circulait de la main à la main : “Combat”.

Désormais, ils misent sur une défaite de l’Allemagne et du fascisme pour retrouver une situation plus favorable à leurs appareils.

En attendant, grâce au soutien financier du gouvernement belge exilé à Londres, ces milieux vont organiser le réseau Socrate, un réseau clandestin d’aide financière et matérielle aux travailleurs réfractaires au STO. Ce moyen de « résister », sans organiser les travailleurs, via une aide recréant un lien de dépendance à l’égard de l’appareil, est en fait tout à fait comparable aux « secours » matériels de 14-18, aux allocations de chômage des années 20 et 30 : une façon de gagner une influence sur les ouvriers grâces aux subsides de l’Etat bourgeois.

Et de fait, cette CGTB revenue du fascisme, n’avait aucune activité, aucun militant, aucun tract tourné vers les entreprises, où les travailleurs étaient confrontés à de graves reculs de leurs conditions de travail et de leurs salaires.

Comme on le voit, dans ces organisations syndicales qui avaient rompu complètement avec la lutte des classes et cherchaient à s’intégrer à l’Etat comme partenaire de la gestion des contradictions sociales, la majorité des cadres responsables ont été jusqu’à proposer leurs services à une dictature ouvertement anti-ouvrière. S’ils n’ont pas été plus loin dans cette voie, c’est uniquement parce que cette dictature ne leur faisait pas confiance et leur préférait les milieux de l’extrême-droite belge.

Aggravation de la situation de la population laborieuse

En attendant, la situation économique générale de la Belgique et de toute l’Europe occupée se dégradait rapidement. La « fructueuse coopération économique avec l’Allemagne », attendue par les dirigeants du CCI en 1940, s’avérait un jeu de dupes. Les biens industriels et manufacturés partaient bien de la Belgique vers l’Allemagne, mais les contreparties commerciales prévues, matières premières, stocks agricoles, n’arrivaient pas. Les entreprises belges échangeaient… contre rien. Au lieu de la coopération économique, le pillage impérialiste. Telle était la réalité du « nouvel ordre européen sous la conduite de l’Allemagne» qui faisait rêver les élites lors de l’été 1940.

En réalité, le nazisme n’était pas une nouvelle forme d’organisation de la société et de l’économie. C’était une méthode brutale de pillage et d’asservissement au service de la conquête de nouveaux marchés, de nouveaux territoires économiques pour l’impérialisme allemand au détriment de tous les autres.

Dans cette situation, les patrons des entreprises belges exploitaient d’autant plus les travailleurs, trompaient d’autant plus l’Etat belge pour maintenir leurs bénéfices. Les profits et dividendes distribués aux actionnaires des entreprises belges restent appréciables : 2,9 milliards de FB en 1941 et 1,8 milliards en 1942. (A titre de comparaison, la masse salariale annuelle était de 10 milliards de FB.)

Mais la situation de la population est lamentable. En Wallonie, de nombreux foyers doivent vivre sans le soutien du père ou du fils, prisonnier en Allemagne, et à qui il faut envoyer des colis par la Croix Rouge. Dans tout le pays, les rations alimentaires de ceux qui mènent des activités physiques éprouvantes n’atteignent pas 1250 calories ( environ la moitié, voire le tiers de ce que l’on mange aujourd’hui).

Le Parti Communiste : d’une organisation révolutionnaire au parti stalinien

Dans cette situation où toutes leurs organisations disparaissent brutalement, voire passent à l’ennemi, alors que les patrons sont à l’offensive, ce qui permet aux travailleurs de réagir, c’est de pouvoir compter sur des militants qui ne baissent pas les bras.

Ces militants-là ne sont pas de simples militants syndicaux, ils ont avant tout une perspective politique, un point de vue de classe clair : ils savent qu’il n’y a pas de conciliation possible entre les intérêts des travailleurs et ceux des patrons, qu’il n’y a d’issue que dans le renversement de la bourgeoisie et l’instauration du socialisme par la force. Les défaites ne les démoralisent pas, du moins pas autant que les autres. Ils se sentent comme faisant partie d’un camp, et quelles que soient les circonstances, ils se sentent responsables de parvenir à regrouper leurs amis et leurs collègues de travail, en leur redonnant des idées, des perspectives et du courage pour la lutte.

Pour arrêter ces hommes et ces femmes, il faut les enfermer dans des camps ou les tuer. Heureusement, ils ont appris à militer de façon clandestine, dans le dos des patrons et des flics, et à ne chercher à atteindre leurs objectifs qu’à travers l’action collective anonyme.

Mais ce qui a construit de tels militants, ce qui leur a donné ces qualités, c’est une organisation, le Parti Communiste. Pour comprendre l’évolution de l’action des militants communistes au cours de la guerre, il faut discuter un peu de l’évolution de ces partis eux-mêmes, et de leur liaison avec le pays issu d’une révolution ouvrière victorieuse, l’Union soviétique.

Pour créer de solides organisations, voire des partis de masse (comme en France) révolutionnaires (comme en France), au beau milieu de cette Europe industrialisée, riche, où les contradictions sociales étaient bien moins explosives qu’ailleurs en temps normal, il a fallu un événement exceptionnel, hors du commun : le triomphe d’une révolution ouvrière socialiste dans un pays gigantesque.

Pour la plupart de ces militants d’Europe qui avaient décidé de sauter le pas, la révolution, et la lutte politique qu’elle impliquait, était quelque chose de complètement neuf. Ils avaient non seulement une grande estime, mais une profonde confiance politique dans les dirigeants bolcheviks, qui avaient mené à bien ce qu’eux voulaient entreprendre.

Malheureusement, l’isolement de la révolution russe sur le plan international, et les terribles reculs sociaux qui en découlèrent en Union soviétique après 1921, amenèrent au pouvoir une bureaucratie à la place des soviets de travailleurs.

La préoccupation essentielle de cette bureaucratie n’était plus la révolution, c’était le maintien de l’appareil d’Etat dont elle tirait son pouvoir et ses maigres privilèges.

Dès la fin des années 20, cette bureaucratie s’est imposée dans le Parti bolchevik comme dans l’Etat. Ses représentants étaient en mesure de détourner, au profit de leur politique, la confiance, la discipline des Partis communistes européens à l’égard du Parti bolchevik.

À travers l’Internationale communiste, les délégués russes vont parvenir à imposer des politiques aux PC européens, non plus en fonction des nécessités du développement de la lutte des classes et de la conscience des travailleurs, mais des besoins politiques, diplomatiques, économiques, militaires même, de la bureaucratie au pouvoir à Moscou.

1933 – 1939 : Une politique d’alliance avec sa propre bourgeoisie

Après avoir entraîné les communistes allemands et européens dans une politique sectaire, qui présentait les partis ouvriers socialistes comme quasi identiques aux nazis (social fascisme), les dirigeants soviétiques imposèrent un brusque changement de cap après la prise du pouvoir par Hitler en 1933. Craignant, à juste titre, une agression militaire de l’Allemagne, ils s’efforcèrent de conclure des alliances militaires avec les pays capitalistes concurrents de l’Allemagne : l’Angleterre et la France.

En 1934, l’U.R.S.S. est admise à la S.D.N. Le 2 mai 1935 est signé à Paris un pacte franco-soviétique d’assistance mutuelle.

Cette politique n’aurait pas forcément été fausse, si elle avait été développée pour gagner du temps et préparer les travailleurs à affronter tous les pays impérialistes, l’Allemagne comme les autres. Mais ce qui était une trahison monstrueuse, ce fut d’instrumentaliser les PC français, anglais (et belge)…, pour faire passer, auprès des travailleurs, cette alliance comme un front des démocraties et de l’URSS contre le fascisme. Par ce type de mobilisation de l’opinion publique des travailleurs, les dirigeants soviétiques tentaient d’amadouer les gouvernements impérialistes, surtout français, pour la conclusion d’un pacte contre l’Allemagne, en contrepartie de la paix sociale garantie par les PC.

Mais les dégâts politiques sur les travailleurs les plus combatifs d’Europe étaient bien plus dangereux, pour la révolution comme pour la sécurité de l’Union soviétique. Une politique nationaliste, chauvine, anti-allemande et non plus anti-nazie, devint l’éducation de milliers de militants communistes européens.

En France, le drapeau tricolore et la Marseillaise, à la place du drapeau rouge et de l’Internationale, devinrent les symboles des manifestions communistes pour justifier une politique d’alliance des travailleurs avec leur propre bourgeoisie. En Belgique, les méthodes et le discours du PC étaient eux aussi axés sur le patriotisme et le nationalisme.

1939-1941 : Une politique de classe au milieu de la guerre impérialiste

Cette période politique du prendre à nouveau brutalement fin lors de la signature du pacte de non-agression germano-soviétique, en 1939. Staline, constatant que ses ‘alliés’ français et anglais étaient tout prêts à laisser les mains libres à Hitler pour s’attaquer à l’URSS, les devança en quelque sorte, en poussant Hitler à reporter la guerre vers l’Ouest.

Les partis et les militants communistes d’Europe durent se débrouiller comme ils pouvaient pour justifier cette alliance de fait de l’Union soviétique avec le fascisme, contre ‘les démocraties’.

Un peu livrés à eux-mêmes, ils développèrent alors une politique résumée par le mot d’ordre « ni Londres, ni Berlin ». Les deux camps impérialistes ennemis (France – Grande Bretagne / Allemagne – Italie) étaient dénoncés comme tous deux motivés par la domination du monde et des colonies en particulier. Les travailleurs n’avaient pas à avoir d’espoir dans l’un ou l’autre camp, ni à soutenir leur propre bourgeoisie en acceptant de sacrifier leurs intérêts sociaux.

C’est donc en quelque sorte par hasard, à la suite d’une longue succession de zigzags politiques imposés par la bureaucratie soviétique, que les partis et les militants communistes étaient retombés sur une politique lutte de classe. Cette position était, pour cette raison, fragile, et elle variera de nouveau par la suite.

Mais les militants communistes n’avaient pas reçu qu’une éducation chauvine, loin de là. Ils avaient l’expérience, la culture et les qualités nécessaires pour porter cette politique de classe dans ces moments particulièrement difficiles. « Ni Londres Ni Berlin », quand le pays était occupé par l’armée allemande, ce n’était pas une perspective facile à défendre.

Et pourtant, c’est précisément cette politique qui va être à la base de leurs succès. Car elle les protégeait de toute illusion vis-à-vis de « l’ordre nouveau » comme de tout réflexe de solidarité vis-à-vis des patrons belges sous prétexte de patriotisme.

Et dans la situation sociale et politique de la Belgique occupée de 1940, c’était décisif. Nous avons vu à quelles difficultés étaient confrontés les travailleurs, et qu’ils se tournaient vers les militants pour chercher des réponses, des réactions. Mais ils ne pouvaient pas se tourner vers les responsables syndicaux traditionnels, occupés à négocier leur intégration au régime, ou au mieux complètement désorientés et passifs.

Alors, ce sont les militants communistes qui leur répondent. Très vite, malgré les interdictions des partis ouvriers et de l’activité politique, les organisations du PC parviennent à sortir des tracts et un journal clandestin, « le Drapeau Rouge ». Les travailleurs et les militants syndicaux y découvrent des mises en garde, des faits, des analyses qui confirment leurs impressions croissantes sur la situation, et l’impasse sans intérêt où s’engagent ceux qui suivent De Man et son UTMI. Les militants du PC les vaccinent contre les illusions et leur conseillent de rester dans leurs anciennes organisations, la CGTB et la CSC, et de s’efforcer d’y mener intelligemment une opposition « lutte de classe ». Mieux, certains communistes adhèrent à l’UTMI pour y faire le même travail.

Plus les mois passent, et plus les faits leur donnent raison. Ils n’ont pas perdu la tête, ils ont compris avant tout le monde. Même ceux des travailleurs socialistes qui leur étaient le plus hostiles leur prêtent de plus en plus l’oreille.

Les travailleurs relèvent la tête

La grève de 1941

Mais ce n’est pas tout. Il faut manger : que faire face à l’augmentation des prix et au « lohnstopp » ? Partout, la pénurie s’installe, il y a un rationnement sur tout ce qui est nécessaire, du pain aux vêtements.

Est-il possible de se battre ? Est-il possible de faire grève ? Les nazis, la police ne plaisantent pas. Les patrons n’ont pas de scrupules et dénoncent les meneurs à la Gestapo.

Bien des histoires circulaient entre ceux qui débattaient de ces questions. Dans une usine de construction métallique de Charleroi, deux frères, qui s’étaient proposés comme porte- parole de leurs collègues, vont informer le patron de leur demande d’augmentation des salaires pour que leurs familles ne crèvent pas de faim. Le patron proteste et reproche aux travailleurs “de manquer de patriotisme dans ces heures difficiles”. Excédé, l’un des ouvriers a un geste du menton vers le coffre-fort du bureau, et répond “et celui-là, c’est aussi un patriote?” (l’usine travaillait pour l’armée allemande). Dès le lendemain, les deux ouvriers sont embarqués par la Gestapo sous les yeux de leurs camarades.

Ces graves questions sur la possibilité des luttes sont débattues par les travailleurs durant le premier hiver de la guerre. Dans les ateliers, les communistes argumentent, montrent la force sociale du monde du travail. « Ils ne peuvent pas mettre 8 millions de personnes en prison » écrit le Drapeau Rouge. Ils ont besoin de nous, de notre travail. “Ce ne sont pas les soldats de la Wehrmacht qui feront rouler les trains ou qui descendront dans la fosse à notre place.” Et puis quelle est l’alternative ? Qu’allons-nous donner aux gosses ?’

Pour une mère, c’est un argument décisif. Les femmes communistes sont parmi elles, s’adressent aux ménagères par des toutes boîtes.

Au sortir de l’hiver, on ne peut plus attendre, le situation devient dramatique. Le 10 mai 1941, des grèves éclatent dans les charbonnages ; les usines sidérurgiques, la métallurgie suivent, le mouvement s’étend en Wallonie de Liège à Charleroi. Il y a 100 000 grévistes selon le Drapeau Rouge, 60 000 selon… l’autorité allemande, qui doit constater d’énormes pertes dans la production d’acier, de fonte, etc. Celle-ci fait alors pression sur les patrons pour qu’ils consentent une augmentation des salaires de 10 %.

Les tracts communistes et le Drapeau Rouge font circuler la nouvelle, en Flandre, à Bruxelles : « C’est possible ! ». Fin mai, Bruxelles est le théâtre de manifestations pour le pain. 3000 femmes et enfants parcourent la rue Haute et les quartiers populaires alentours, encourageant les travailleurs à la lutte. 1 000 postiers de la poste centrale arrêtent le travail et exigent une augmentation.

Le 26, les usines TMT (métallurgie) à Forest sont en grève pour obtenir, après une semaine de grève, 8% d’augmentation et des allocations familiales majorées de 30%.

Durant tout l’été, les mouvements revendicatifs se propagent de villes en villes, d’usines en usines. La presse, censurée par l’occupant, tait ces nouvelles. Mais les travailleurs découvrent des tracts communistes clandestins qui font le point sur les luttes, fixent les objectifs. « pour une avance de 3 mois sur les salaires ! Pour une prime de 500fr ! Pour se constituer une réserve alimentaire ! » En quelques mots, les informations essentielles : qui a fait grève ? qu’est-ce qu’ils ont obtenu ? les simples détails sont des incitations à passer aux actes à son tour.

« Bravo ! Camarades ! Courage ! Ne vous laissez pas influencer par les menaces et les fouilles de l’occupant ! » «Tous ensemble » !

Les travailleurs comprennent : ceux qui ne se battent pas n’auront rien (de fait, les affiliés de l’UTMI, qui ne font pas grève, sont souvent les seuls à ne pas être augmentés).

Tous ceux qui se demandent comment faire se tournent vers les communistes… ou le deviennent. A la suite des mouvements revendicatifs, des actions de grèves, les militants du PC s’efforcent de regrouper, clandestinement, tous ceux qui sont pour la lutte. Ils forment des Comités de Lutte Syndicale, qui essaiment avec une rapidité surprenante. En mars 1942, Bruxelles compte 69 entreprises avec un CLS, le 1er mai de la même année, ils sont déjà 91.

A Bruxelles toujours, six feuilles clandestines paraissent régulièrement, malgré les risques et les difficultés. « Le Tram – De Tram », bulletin des wattmans, fait le point sur les collectes au profit des camardes emprisonnés à la suite des actions de grève. On ne laissera pas tomber leurs familles. « Le Marteau – De Hamer » est diffusé dans 15 entreprises de la métallurgie, dont Renault Vilvoorde.

Une nouvelle génération de militants

Dans ces luttes difficiles, aussi risquées que nécessaires, de solides amitiés se nouent, des gens se révèlent. Une nouvelle génération d’ouvriers, souvent très jeunes, se lancent dans le militantisme et le développement de leurs organisations. Le dirigeant des CLS de Bruxelles est un postier de 20 ans, François de Decker.

L’action des militants du PC cesse de ne concerner que quelques milliers de militants, elle organise l’activité de dizaines de milliers de travailleurs et change leur conscience politique.

Car ces luttes n’amènent pas que du pain sur la table. Dans son livre “Né Juif”, Marcel Liebman, un écrivain et historien belge, raconte pourquoi il est devenu communiste. Il était jeune enfant lorsque, en 1942, ont commencé les rafles et les déportations de juifs. Alors, dans les quartiers ouvriers, des portes s’ouvrent pour cacher les familles en fuite.

Ceux qui prennent le risque de cacher des juifs sont la plupart du temps des militants, communistes, socialistes, syndicalistes. Mais ils peuvent courir ce risque parce qu’ils savent que leurs voisins ne les dénonceront pas. Car

parmi ces travailleurs, ces hommes et ces femmes qui ont osé eux- mêmes affronter ensemble la répression pour arracher de quoi vivre, personne ne caftera contre d’autres travailleurs, pas même contre les travailleurs immigrés. Et pourtant, le racisme existait à l’époque comme aujourd’hui ! C’est cette garantie, cette solidarité de classe, qui permet aux militants ouvriers de courir le risque de cacher les juifs.

Ce simple fait, à l’époque où les pires infamies se déroulaient ailleurs sans protestation, est révélateur de la possibilité, pour un parti révolutionnaire, de ramener, à travers l’organisation et les luttes collectives, une majorité de travailleurs vers des perspectives humaines, progressistes.

Une base favorable à des luttes politiques

C’est à travers ces événements que se fédèrent les CLS en organisations syndicales profondément différentes des anciens syndicats socialistes. A la place de la CGTB, avec ses bureaux syndicaux extérieurs aux usines, où des employés classent les archives des commissions paritaires et vérifient les relevés de comptes en banque, le fonctionnement de ces nouveaux syndicats gravite autour de noyaux de militants d’entreprises et de la vie collective qu’ils parviennent à animer.

Ces succès auraient pu être la base du développement d’une conscience de classe parmi les travailleurs allant bien plus loin que la simple solidarité face aux problèmes immédiats posés par la guerre et l’occupation militaire. Les travailleurs les plus jeunes, les plus capables, découvraient les possibilités politiques et la force de leur classe sociale. Ce que les dirigeants gouvernementaux, les généraux belges, n’avaient pas su faire face aux armées de Hitler, s’organiser, s’opposer, se défendre, leurs camarades de travail le faisaient.

Le courage, les qualités individuelles, le sens des responsabilités des simples travailleurs, pouvaient-ils être comparés à ceux des dirigeants politiques et syndicaux, qui pourtant se prétendaient indispensables ? Et les dividendes scandaleux distribués aux actionnaires pendant qu’on faisait la queue devant les boucheries, ne devraient-ils pas être confisqués ?

Bref, les sujets ne manquaient pas pour amener des centaines, des milliers d’ouvriers intelligents et courageux à se poser des questions politiques bien plus larges, sur qui devait et pouvait diriger et contrôler la société. Et les circonstances ne manquaient pas pour amener ces ouvriers à accumuler une vaste expérience sur la façon d’amener des dizaines de milliers de travailleurs à poser pratiquement ces problèmes à travers des luttes.

Malheureusement, c’est précisément alors que cette politique de classe obtenait ses plus grands succès, au moment où elle pouvait déboucher sur de véritables perspectives politiques, que le PC allait lui tourner le dos.

1942 – 1944 : le Front… avec sa bourgeoisie

Comme d’habitude, ce fut un changement dans les besoins politiques de la bureaucratie soviétique qui fut à l’origine du profond revirement des axes politiques des PC européens. Le 22 juin 1941, les armées nazies pénétraient en Union soviétique. A nouveaux, les dirigeants soviétiques éprouvaient le besoin d’obtenir l’appui des impérialismes concurrents de l’Allemagne, cette fois, celui de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis.

Les dirigeants anglais et américains, qui n’avaient pas la partie facile contre l’Allemagne et le Japon, étaient prêts à fournir aux Soviétiques des avions et des canons, mais que pouvaient proposer les responsables soviétiques en échange ? Il y avait surtout deux choses qui intéressaient les dirigeants impérialistes : le maintien d’un front militaire à l’Est pour y bloquer toute une partie des armées allemandes et aussi le contrôle sur les événements politiques qui étaient en train de se dérouler en Europe, comme ceux que nous venons de discuter.

Ces dirigeants anglais et américains n’avaient pas oublié la montée révolutionnaire qui s’était produite à la fin de la guerre précédente. Et ils voyaient que les armées allemandes, qui étaient devenues, au cours de la guerre, les forces de maintien de l’ordre capitaliste sur le continent, allaient entraîner dans leur défaite tout le reste des appareils de répression des pays occupés, complètement discrédités par leur collaboration avec un régime odieux aux populations.

Alors, ce que les dirigeants soviétiques avaient à leur offrir, c’était la chair d’une vingtaine de millions de travailleurs de l’URSS qui luttèrent avec des armes souvent inégales contre l’avance allemande. Ce qu’ils avaient à offrir aussi, c’était le contrôle sur les éléments les plus radicaux et les plus actifs dans la contestation de l’ordre capitaliste : les partis communistes.

Les partis communistes, sous la pression et l’encadrement des envoyés soviétiques, vont abandonner leur politique de classe pour développer une politique nationaliste. On explique aux résistants communistes qu’il faut créer un « deuxième front » pour soulager la pression du front de l’Est sur l’Armée rouge.

À partir de 1942, les meilleurs éléments communistes, les plus courageux, les plus capables, les plus décidés, sont de plus en plus rapidement et massivement retirés du travail centré sur les usines pour intégrer la résistance armée. Ils s’y consacrent quasi-exclusivement, au sein de petites cellules coupées de la population, à la préparation pratique de sabotages, d’attentats, d’assassinats de collaborateurs ou de soldats allemands. En Belgique, dès 1943, la résistance armée organisée par le PC se compose de plusieurs Corps regroupant des centaines de PA, partisans armés.

L’activité des CLS, et de toutes les organisations regroupant les travailleurs, comme « les secours rouges », ne sont pas abandonnés, mais leurs activités, leur fonctionnement sont limités étroitement par le nouveau rôle que leur assigne le PC. Pour le PC désormais, « la lutte sociale n’est qu’un aspect de la lutte nationale », ce qui signifie qu’« il faut lier l’action sociale à l’action patriotique ». Ces organisations deviennent les relais, parmi les masses, d’une lutte nationaliste tournée exclusivement contre l’occupant, et non plus de défense des travailleurs contre les patrons.

Toutes les organisations animées par le PC sont regroupées au sein d’un « Front de l’Indépendance », ouvert à tous ceux qui veulent s’opposer à l’occupation. Il est facile, pour un jeune résistant communiste, de croire à cette perspective « de Front » avec les anti-fascistes, car il est rejoint par de jeunes bourgeois, des jeunes catholiques, aussi courageux et révoltés que lui. Mais leur révolte à eux n’est pas tournée contre la hiérarchie sociale, seulement contre sa politique de collaboration et de déportation. Ces jeunes suivent les plus décidés, les communistes.

Mais au lieu de les entraîner sur le terrain de la défense des intérêts politiques de la seule classe qui peut s’opposer à tout ce que les jeunes résistants trouvent intolérable, les choix du PC entraînent au contraire les jeunes communistes sur le terrain nationaliste, d’alliance entre les classes.

En réalité, le « Front de l’Indépendance » n’était pas « un deuxième front ouvert par la résistance », mais la disparition d’un front de classe en Europe en échange de l’alliance avec l’impérialisme.

Avec ces revirements stratégiques de la part du PC, les activités des CLS se cantonnent à des activités purement syndicales, qui n’entraînent plus une politisation et une implication des travailleurs dans d’autres questions que celles des problèmes des salaires et du ravitaillement. Les militants et les cadres, y compris communistes, des CLS, n’accumulent plus une expérience politique, ils deviennent des militants syndicaux, dont le fonctionnement routinier du syndicat devient le seul horizon. Par la suite, cela les détachera de l’engagement politique et facilitera leur récupération par les dirigeants réformistes.

Un autre aspect des problèmes du développement de la lutte armée, c’est l’accroissement de la répression qui frappe les militants et éclaircit rapidement leurs rangs. Dès 1942, malgré leurs précautions et leur discipline, les résistants communistes sont arrêtés par dizaines, puis par centaines. Ils sont systématiquement torturés, puis fusillés ou déportés dans des camps, à Breendonk, en Belgique, ou en Allemagne (Dachau…).

Bien sûr, personne ne leur fera reproche d’avoir pris des risques, de s’exposer… et d’être arrêtés ! Non, le problème c’est que la lutte armée ne peut être entreprise que par des hommes ou des femmes qui sont libres de toute attache, de toute responsabilité familiale. Ce qui, bien entendu, n’est pas le cas de la majorité des travailleurs, qui doivent rester à l’usine pour nourrir leurs enfants. On a vu que ces pères et mères de famille n’ont pas manqué de courage lors des grèves de 41, qu’un certain nombre d’entre eux ont sauté le pas de l’action organisée, parce que les communistes les organisaient là où ils étaient obligés de venir gagner leur vie.

C’est pourquoi les arrestations de grévistes ou de meneurs n’ont pas affaibli les CLS qui ont pu trouver dans le vivier de l’entreprise des volontaires pour combler les vides. Ce n’est plus le cas des cellules de lutte armée. Le nombre de jeunes et courageux et socialement libres, n’est pas extensible à l’infini. En 1946, le PC pourra faire campagne sur le simple slogan : « le parti des fusillés », ce qui leur rapportera certes des centaines de milliers de voix. Mais les organisations réformistes disposeront, elles, de milliers de cadres formés et actifs dans les entreprises, ce qui était de loin le plus important.

Les Renardistes

Car, par une cruelle ironie, pendant que l’élite des militants communistes prenait le chemin des camps en Allemagne, les dirigeants syndicalistes réformistes les plus capables, dont André Renard, rentraient de captivité (prisonniers de guerre libérés).

Ces syndicalistes-là ne sont pas impliqués dans la politique de collaboration et de capitulation des dirigeants restés au pays. Leur expérience, leur formation de dirigeants syndicaux réformistes, ce sont les années 30 et l’impuissance des méthodes de lutte bureaucratiques contre les militants communistes implantés en entreprises.

Ils vont alors entreprendre, avec des méthodes, un ton, un radicalisme apparent très éloignés des anciennes pratiques réformistes, de concurrencer les militants communistes qui ont lancé les nouvelles organisations syndicales.

Cette entreprise va être miraculeusement facilitée par l’abandon, par les meilleures forces communistes, du terrain des entreprises et de la conscientisation des travailleurs à travers leur participation à des luttes collectives.

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Les syndicats en Belgique 1/3 1850-1939

Naissance des syndicats modernes

Introduction

Ceux qui ont suivi l’actualité ont pu voir un patron de choc, ne cachant pas son mépris pour les syndicats, le patron de Ryanair O’Leary, menacer de quitter l’aéroport de Charleroi s’il n’obtenait pas des garanties contre les actions de grève. De nombreux commentateurs bien au fait de la concurrence que se livrent les compagnies low cost ne cachaient pas que c’était du bluff, tant cela aurait avantagé les concurrents de Ryanair. Et pourtant, malgré cela, les organisations syndicales socialistes et chrétiennes se sont engagées à garantir qu’en cas de grève « sauvage », des fonctionnaires du MET assureraient le service minimum, le temps que les compagnies prennent leurs dispositions pour réorganiser leur trafic vers d’autres aéroports.

Rudy Demotte, le ministre président de la Région wallonne a bien entendu approuvé cette solution et aimerait qu’un accord de ce genre (service minimum) soit étendu à toute la région, pour faire de la Wallonie « une terre d’accueil pour les investisseurs. »

Les organisations syndicales peuvent très bien accepter de signer, et faire appliquer sur le terrain, ce genre d’engagement, si elles obtiennent en échange des garanties ou des avantages pour leurs propres appareils. Mais elles peuvent tout aussi bien après-demain s’appuyer sur les travailleurs en leur tenant un discours radical en apparence, si ces mêmes avantages d’appareil étaient remis en cause.

Pour les travailleurs et les militants, le problème évidemment est de savoir comment parvenir à ne plus dépendre de pareilles directions.

Est-il encore possible qu’il y ait de grands mouvements de luttes non contrôlés par les syndicats ? Est-il possible de se défendre, malgré la « mondialisation », la concurrence des pays à bas salaires ? Ne va-t-on pas risquer, en menant des luttes, de provoquer des délocalisations qui sont de toute façon décidées par des multinationales dont les centres de décision seraient « hors d’atteinte » ?

C’est en tout cas par ces arguments que les responsables syndicaux justifient leur propre passivité. Mais est-il vrai qu’avant il était plus facile de se défendre, qu’il y avait moins de concurrence ou qu’au temps de nos grands-parents, il y avait « de vrais syndicats » ? Ou encore, ont-ils raison, ceux qui à l’extrême gauche, pensent que sans les syndicats, il n’y aurait plus d’obstacle aux révolutionnaires parmi les travailleurs et qu’en attendant, il faut se tenir en dehors des syndicats ?

Pour s’éclaircir les idées sur toutes ces questions, il est intéressant de se pencher un peu sur l’histoire de la naissance de ces organisations de défense des salariés face aux patrons et de voir comment elles ont évolué.

1800-1914 : La naissance des syndicats

Les organisations corporatistes et le prolétariat moderne

Avant la révolution industrielle, il existait déjà en Belgique des organisations de défense des salaires. C’étaient des corporations d’artisans, héritées du Moyen-Âge. Cependant, ces corporations ne regroupaient qu’une petite minorité de travailleurs très qualifiés, et encore uniquement par métier.

La méthode par laquelle ces corporations s’efforçaient d’éviter que la concurrence n’engendre une baisse des salaires était d’imposer leur monopole sur une spécialité très pointue. Pour la construction d’un meuble de luxe par exemple, devaient intervenir successivement les artisans de la corporation des menuisiers, pour faire le coffre, puis ceux de la corporation de plaquage en bois précieux, puis ceux qui posaient le marbre, puis ceux qui fixaient les appliques en bronze, puis les doreurs de bronze…

Pas question d’accepter un emploi ou une commande chez un patron qui n’avait pas respecté les prérogatives de chaque corporation, ou pire, qui aurait embauché un « non-affranchi », non-membre d’une corporation.

Pour faire respecter cette règle, les compagnons affranchis étaient prêts à refuser leur travail durant des années, voire à mettre le feu à l’atelier du maître récalcitrant, ou même à massacrer les non- affranchis.

Car ces organisations défendaient leurs membres autant contre les patrons que contre les autres travailleurs, en particulier contre l’écrasante majorité des non qualifiés.

Les petits patrons, mais aussi les capitalistes qui, de plus en plus, voulaient investir dans la production (et plus seulement dans le commerce) étaient évidemment exaspérés par ces corporations. Ils demandaient aux pouvoirs publics des lois pour les empêcher d’imposer ‘leur monopole’.

En 1770, le gouvernement de Joseph II prit déjà des mesures anti-corporatistes, qui rendaient donc plus difficile pour les travailleurs de s’organiser. Mais c’est la Révolution de 1789 qui leur porta les coups les plus durs. La Révolution « des droits de l’homme et du citoyen » était la révolution de la liberté pour la bourgeoisie, de faire ses affaires et de s’enrichir sans entraves.

A partir de 1795, sous l’occupation des armées françaises puis sous l’administration napoléonienne, le droit de grève, le droit de coalition fut interdit aux travailleurs (loi Le Chapelier, promulguée en France le 14 juin 1791, est une loi interdisant les groupements professionnels, en particulier les corporations des métiers, mais aussi les organisations ouvrières, les rassemblements paysans et ouvriers ainsi que le compagnonnage). En théorie, l’interdiction de coalition était aussi valable pour les patrons, mais jamais aucun d’eux ne fut ni poursuivi ni condamné, bien que les coalitions patronales existassent bel et bien. Par contre, de 1830 à 1860, 1600 ouvriers seront poursuivis sur cette base, et souvent emprisonnés.

Comme cela ne suffisait pas à mater les corporations, qui résistaient clandestinement, un livret ouvrier fut institué, livret personnel à chaque travailleur, que son patron devait signer pour l’autoriser à chercher du travail ailleurs, ce qui était évidemment un moyen de pression.

Mais plus que par les lois, c’est surtout par la révolution des techniques et de la production que les capitalistes vont briser la résistance des corporations.

Pour baisser les coûts de leurs marchandises, ils rationalisèrent et réorganisèrent le travail au sein de grandes fabriques, où les activités complexes du travail artisanal furent décomposées en une série de gestes simples… qu’un enfant pouvait accomplir.

Quelques décennies plus tard, à partir de 1820, ces capitalistes, devenus des industriels, commencèrent à investir dans l’achat de machines, pour augmenter la productivité du travail.

Cela leur permit d’embaucher massivement les travailleurs non organisés, issus des petites entreprises et surtout venus des campagnes. « Il y a une différence notable, disait un patron de fabrique en 1843, entre les ouvriers des campagnes et ceux des villes : je préfère infiniment les premiers, dont les mœurs sont plus simples et plus douces, et que l’on conduit à volonté ».

Les investisseurs internationaux, à l’affût de nouveaux marchés, investirent massivement en Wallonie, pour profiter d’une source d’énergie bon marché (le charbon)… et du bas coût de la main d’œuvre.

À partir de 1840, en deux décennies à peine, les campagnes sont vidées de leurs populations, aspirées par les banlieues industrielles. Une majorité de ces familles laborieuses sont brisées, dispersées aux quatre vents par la précarité, chacun essaye de survivre de son propre côté.

Des foules de travailleurs sans logement fixe, hommes, femmes, enfants mélangés, se déplacent d’un carreau de charbonnage à l’autre, d’un faubourg au suivant, à la recherche d’un travail. Ils n’ont pas de droits, pas de domicile, pas de famille ni connaissance vers qui se tourner : ils vivent comme des émigrés dans leur propre pays.

Bien loin de leur venir en aide, les travailleurs des corporations sont horrifiés par cette masse qui accepte de travailler non pour un bol de riz, mais « de patates » (cf le tableau célèbre de Van Gogh). Les artisans des corporations se sentent désarmés par cette concurrence. Évidemment, cela facilite aux patrons l’exploitation des travailleurs non organisés.

Aucune loi ne les protège de la rapacité patronale, ni sur le travail des enfants, ni sur la longueur de la journée de travail, ni sur les salaires, les conditions de travail, etc. Dans les mines, entre 1831 et 1855, on enregistre 3 569 tués. Dans les années 1840, un docteur relève qu’à la bataille de Waterloo, le risque de mortalité était de 1 pour 30, alors qu’il est de 1 pour 25 pour les travailleurs à Nivelles.

Toute cette situation ressemble beaucoup à ce qu’on peut observer aujourd’hui en Chine : les jeunes filles qui travaillent dans les usines Nokia, les ouvriers des chantiers de construction des Jeux Olympiques, entre autres, sont pour la plupart issus des campagnes, sans droits, ni syndicats, sans papiers, bien souvent. Cela est vrai aussi en Inde, au Maroc, en Turquie…

Alors, imparable cette concurrence ?

1860-1870 : l’Association Internationale des Travailleurs

C’est ce que laissent entendre aujourd’hui les organisations syndicales, qui se prétendent impuissantes face à un capitalisme « mondialisé ». Et pourtant, dans cette Belgique de 1860, qui ressemble par bien des aspects à la situation en Chine aujourd’hui, la solution va venir des syndicats des autres pays. Les idées, les perspectives, les méthodes de lutte vont venir des ouvriers les plus organisés et les plus politisés des autres pays ; surtout du prolétariat anglais.

L’Angleterre de l’époque est la première puissance du monde, c’est le pays le plus industrialisé. La classe ouvrière anglaise y a déjà une longue tradition de lutte derrière elle. Elle commence à s’organiser dans des syndicats modernes et à arracher des concessions à sa bourgeoisie. Alors, les patrons anglais menacent ces travailleurs organisés et combatifs de délocaliser leur industrie (comme Cokerill), ou bien ils font venir des travailleurs… de l’est, des pays à bas salaires, comme la Belgique.

« Chaque fois que nous essayons d’améliorer notre situation au moyen de la réduction de la journée de travail ou de l’augmentation des salaires, les capitalistes nous menacent d’embaucher des ouvriers français, belges ou allemands pour un prix moins élevé. Cette menace est souvent mise à exécution. » Voilà le constat que pouvait faire George Odger dirigeant trade-unioniste et membre de l’AIT, dans l’Adresse aux ouvriers français qu’il rédigea au nom des travailleurs syndiqués de Londres.

Mais ces dirigeants ouvriers-là n’étaient pas du style à lever les bras au ciel ou à réclamer des lois contre la concurrence des autres pays : « La faute n’en est certes pas aux camarades du continent, mais exclusivement à l’absence de liaisons régulières entre les salariés des différents pays. Mais cette situation prendra bientôt fin, grâce à nos efforts pour arriver à mettre les ouvriers mal payés au même niveau que les autres. »

Ces syndicalistes anglais vont se lancer dans la construction d’un mouvement international, pour tenter d’apporter aux travailleurs des pays « concurrents », leurs expériences syndicales, leurs principes, leurs méthodes de lutte, et même souvent leur soutien matériel. Ce mouvement, ils le fondent à Londres en 1864 (Association Internationale des Travailleurs), et pour les épauler, ils recrutent un immigré, un réfugié politique qu’ils jugent du côté des travailleurs : Karl Marx.

Quand on regarde leur tentative aujourd’hui, on se demande par quel miracle ils ont réussi, car la situation était au moins aussi difficile qu’aujourd’hui. Pourtant, il n’y pas de miracle : les dirigeants syndicaux anglais se sont donné les moyens d’atteindre leur but. Les patrons anglais les menaçaient, faisaient du chantage à l’emploi ? Ils ont répondu du tac au tac en entraînant des centaines de milliers de travailleurs anglais dans des grèves de masses.

Toute la presse européenne se faisait l’écho des grèves, des manifestations monstres de 1867 en Angleterre, qui ont fait reculer le patronat.

C’était si impressionnant, que dans tous les pays européens, il se trouvait des centaines d’individus pour oser se dire, eux aussi, « Internationalistes » et s’adresser aux travailleurs sur base des idées de l’AIT : « travailleurs de tous les pays, unissez- vous ».

Reprenant les analyses des ouvriers anglais, ils expliquaient aux membres des corporations, qui regrettaient le « bon vieux temps d’avant les machines » : « regardez, le monde a changé, l’économie est devenue mondiale ». Les petits patrons de naguère sont de plus en plus remplacés par une classe capitaliste, qui n’est plus liée à un pays ou à un secteur économique, mais qui investit ses capitaux là où c’est le plus profitable, en jouant sur la concurrence entre travailleurs et en organisant ses affaires à l’échelle internationale. Face à ces capitalistes, les travailleurs eux aussi ne forment désormais qu’une seule et même classe internationale, ayant le même intérêt, indépendamment de leur nationalité ou de leur métier’.

Jamais les travailleurs belges, ni les membres des corporations, ni le prolétariat écrasé des grandes usines, n’avaient encore entendu de telles idées. Les militants de l’AIT en Belgique sont rapidement entourés de dizaines de nouveaux amis, des travailleurs avides de comprendre et qui reprennent à leur tour ces idées. Les meetings ramènent des centaines de personnes, les manifestations des milliers.

« Dans les années 1867-1869, on assiste en Belgique à un extraordinaire développement de la conscience ouvrière, de même qu’à celui des capacités organisationnelles du prolétariat. »

En effet, en 3 ans, le nombre de travailleurs affiliés à l’AIT en Belgique, atteint 70 000 adhérents. Il y a 42 sections de l’AIT dans la région de Charleroi, 10 dans le Borinage, 7 dans le Centre, 10 à Bruxelles… Chose remarquable : c’est parmi les simples ouvriers d’usine, sans tradition ni organisation, analphabètes bien souvent, que les idées modernes de l’AIT progressent le plus vite.

Un historien raconte :

« Sa propagande (de l’AIT) fait prendre conscience aux mineurs, non seulement de l’identité de leur condition sociale, de la similitude de leur exploitation, mais aussi de la solidarité profonde qui les lie à l’ensemble des ouvriers du pays et même d’Europe… ».

« Les mouvements n’éclatent plus seulement à la suite de brimades patronales, mais sont étroitement liés à la conjoncture économique. À côté des grèves défensives, éclatent des grèves d’un type nouveau, offensives cette fois. Au moment où la conjoncture économique s’améliore, les mineurs prennent les devants et arrêtent le travail dans l’espoir de récolter les fruits »

Quoi d’extraordinaire dans ces luttes offensives pour les salaires ? Eh bien, qu’avant, il n’y en avait pas. Depuis la création de la grande industrie en Belgique (1820), il n’y avait jamais eu de grèves pour augmenter les salaires. Pour qu’elles soient possibles, il a fallu un profond changement dans la conscience des travailleurs : en premier lieu que si c’est le patron qui leur paye un salaire, sa richesse vient de leur travail à eux, et que réclamer une augmentation, c’est réclamer un dû. Et que pour obtenir ce dû, il faut créer un rapport de force, par une lutte commune, qui rassemble tous les travailleurs, dont le niveau de vie, de salaire, sont liés.

Ce sont donc des idées politiques, sur la société, sur l’économie, qui sont à l’origine de l’essor des luttes syndicales, même celles qui sont menées dans une seule entreprise.

Cet essor des organisations ouvrières avec l’AIT est fragile : après la défaite de la Commune de Paris (1871), et la répression policière contre les travailleurs qui s’en suit dans toute l’Europe, toutes les sections de l’AIT en Belgique disparaissent (ailleurs aussi).

Mais en réalité, les choses ont profondément changé. L’AIT a créé une génération de militants ouvriers conscients et politisés, et au-delà, généralisé une conscience de classe à de très larges fractions des travailleurs.

Partout renaissent des associations qui s’efforcent de regrouper les travailleurs de l’industrie : des syndicats notamment, mais aussi à travers des mutuelles, des coopératives d’achats.

Au sein des vieilles organisations corporatistes, on assiste alors à des bagarres, des empoignades, « des haines de Chinois », qui opposent ceux qui veulent rester fidèles aux perspectives de classe de l’AIT et ceux que ces militants ouvriers appellent avec mépris des « aristocrates », des ouvriers très qualifiés et plus individualistes, qui tiennent à leur position à part. Les associations de métiers s’affaiblissent, et l’idée d’un grand rassemblement des travailleurs fait son chemin.

1880-1913 les partis ouvriers organisent les masses

Cette combativité des travailleurs, leur intérêt pour les idées concernant la société et la politique, va attirer vers eux de nombreux militants issus de la gauche des partis bourgeois, surtout du parti libéral. Ce sont des démocrates, des anticléricaux, des républicains,… choqués par ce qu’on appellerait aujourd’hui la « mondialisation », par l’évolution de cette société où le nombre de pauvres s’accroît malgré l’augmentation des richesses, où la concurrence fait rage et ruine les petites entreprises, où l’économie est paralysée par des crises, etc.

Ils sont séduits par les idées socialistes qui leur apportent une explication cohérente de ces phénomènes absurdes et surtout, ils pressentent dans la classe ouvrière une force de mobilisation et de pression qu’ils pourraient opposer à cette évolution sociale qu’ils jugent néfaste. Jaurès, Vandervelde, Kautsky, sont les représentants les plus connus de cette vague de militants petits-bourgeois attirés vers le mouvement ouvrier.

Cela n’en fait pas des révolutionnaires, au contraire, ils espèrent pouvoir canaliser l’énergie de la classe ouvrière pour éviter que les conflits sociaux ne dégénèrent en une confrontation violente entre les classes sociales, ils veulent éviter une révolution.

Ils misent sur une conquête pacifique du pouvoir législatif et gouvernemental pour faire triompher leurs idées. Pour cela ils se rendent compte que des mouvements de pression sur la classe dominante sont nécessaires, quitte à sortir de l’action parlementaire et légale, mais dans la perspective d’obliger les gouvernants à faire des concessions, pas de les renverser.

Mais, à la différence des mouvements réformistes d’aujourd’hui, les alter mondialistes, les écologistes, etc., ils ne se contentent pas de discours appelant les dirigeants à « devenir enfin raisonnables », non, eux n’hésitent pas à aller organiser les masses, et pour y arriver, à reprendre à leur compte les revendications basées sur les intérêts matériels, sociaux, politiques, des pauvres.

C’est sous cette impulsion que vont apparaître, dans tous les pays d’Europe, des partis ouvriers de masse. En Belgique, c’est en 1885 que sera fondé le Parti Ouvrier Belge. Le choix des dirigeants du POB est de gagner une influence politique sur les travailleurs en les liant au parti par toutes sortes d’organisations qui correspondent à leurs besoins immédiats : mutuelles d’assurance contre les maladies, la vieillesse ; coopératives d’achat, pour se procurer une nourriture moins chère et de meilleure qualité…

Par un travail méthodique et systématique, ils vont s’efforcer de généraliser ce type d’organisation, avec succès. Les travailleurs rejoignent ces mutuelles, ces coopératives, et l’importance que prennent ces organisations dans leur vie quotidienne alimente en retour une confiance politique à l’égard du POB.

Mais ces militants réformistes ne vont pas s’arrêter là. Pour gagner de l’influence parmi les ouvriers de la grande industrie en Wallonie, chez qui l’AIT a implanté une tradition de luttes syndicales, les dirigeants du POB vont s’efforcer, de façon volontariste, de créer et développer des syndicats modernes. En 1898, est fondée la « Commission syndicale » du POB, dont la tâche expresse est d’organiser les travailleurs dans des syndicats stables (qui durent plus que quelques années comme c’était souvent le cas), qui s’adressent aussi aux travailleurs du rang, pas seulement aux qualifiés.

Les militants de toutes les organisations du POB sont mis à contribution pour soutenir les mouvements de grévistes. Aujourd’hui, au mieux de sa forme, l’extrême gauche rassemble quelques individus pour aller soutenir les travailleurs à un piquet de grève. Mais à l’époque de la naissance du parti ouvrier, ce n’étaient pas ‘quelques individus’, mais des centaines de militants, des milliers de sympathisants…Et des militants qui étaient aussi souvent les organisateurs de coopératives, capables de mobiliser des moyens impressionnants, d’obtenir un large soutien matériel et moral de la part des autres travailleurs à l’égard de ceux qui étaient en lutte.

Ce travail d’organisation des travailleurs dans des syndicats porte des fruits. En 1910, l’effectif des syndicats regroupés par la Commission syndicale atteint presque 70 000 syndiqués, soit 7% des salariés. Un chiffre modeste par rapport à l’ensemble des travailleurs : la Belgique était alors l’atelier industriel de l’Europe et comptait des centaines de milliers d’ouvriers d’usine. Mais il faut tenir compte de ce que l’affiliation à un syndicat était, de la part des travailleurs, un acte militant qui devait braver la loi (art 390 du code pénal contre les grèves) et surtout la répression patronale.

Les Fédérations de métiers, issues des traditions corporatistes, cèdent lentement la place à une conception moderne du syndicalisme, s’efforçant de grouper et d’organiser tous les travailleurs présents dans l’entreprise, indépendamment de leurs qualifications.

A la base du succès de ces nouveaux syndicats, il y a bien sûr le travail des militants socialistes, mais aussi la réalité objective du fonctionnement du capitalisme industriel lui-même. Le capitalisme rassemble les travailleurs dans des usines et les pousse à collaborer entre tous les métiers dans la production. Ceux qui espèrent s’organiser à part grâce à leur qualification particulière sont tôt ou tard rattrapés par le bouleversement des techniques, qui remplace ou change les qualifications nécessaires.

C’est donc le choix politique de militants socialistes de militer dans la classe ouvrière pour y systématiser les perspectives d’organisation et de lutte commune, qui a donné naissance à des syndicats où les travailleurs n’étaient plus divisés par métiers, ou entre qualifiés et non qualifiés.

Changement dans la politique de la bourgeoisie et développement des appareils

Les patrons face à l’organisation des travailleurs

Comment les patrons réagissent-ils face à cette multiplication d’organisations ouvrières ? Dans leur grande majorité, ils y sont profondément hostiles. Même les organisations mutuelles et coopératives, ils les soupçonnent d’être « des écoles du socialisme » et surtout, des caisses de grèves dissimulées. Il est vrai que l’activité du POB leur a montré que ce n’était pas tout à fait faux. Alors bien sûr, les syndicats sont tout simplement considérés comme un rassemblement illégal qui porte atteinte à leur « liberté d’entrepreneurs ».

Il va sans dire que les patrons ne reconnaissent ni organisations syndicales, ni délégués, ni porte-parole du personnel, ni quoi que ce soit. L’affiliation à un syndicat est dans ces conditions un acte secret, les syndicats demeurent des organisations clandestines, qui dissimulent leurs adhérents, leurs caisses de grève, et qui n’ont aucune existence légale.

Dans cette situation, les syndicalistes n’arrivent à se maintenir dans les usines que sur la base d’un rapport de force, qu’ils créent en militant, en gagnant la confiance et le soutien de leurs collègues, même non syndiqués.

Bien entendu, cela ne suffit pas toujours, et les patrons profitent des reculs, des grèves défaites bien souvent, « pour faire le ménage ». Le Livret ouvrier est toujours une menace suspendue au-dessus de la tête de tout militant syndicaliste, malgré les nombreux mouvements de grèves, d’émeutes même, par lesquelles les ouvriers tentent de s’y opposer.

Cependant, dans l’espoir de retenir les ouvriers attirés par les organisations socialistes, les patrons acceptent de financer de plus en plus souvent les associations charitables mises sur pied par l’Eglise catholique. Ces associations n’avaient pas vraiment de succès auprès des travailleurs, qui trouvaient humiliant d’accepter de la soupe et de vieux vêtements de vieilles bigotes bien nourries.

Mais le financement de ces œuvres de charité servait au moins à éduquer les patrons à la nécessité de consacrer une certaine fraction de leurs bénéfices sous forme de secours social, pour modérer la lutte des classes. Et la leçon n’allait pas être perdue…

Mais tous les capitalistes ne se laissent pas aveugler par l’hystérie anti-socialiste. Certains, parmi les plus puissants, les plus influents, sont tout à fait capables de juger lucidement les organisations réformistes et leurs chefs, dont les objectifs (le suffrage universel, les droits syndicaux) n’ont rien de radicaux. Et ces bourgeois-là comprennent que le POB pourrait servir d’instrument de contrôle de la classe ouvrière, si la situation le nécessitait.

C’est pourquoi par exemple, en 1911, Ernest Solvay, grand patron de la chimie, a subventionné (1 millions de francs) la fondation de l’Institut d’éducation ouvrière, école de formation des cadres du POB. C’est pourquoi encore, le banquier Emile Francqui a « généreusement » soutenu la grève générale de 1913 pour le suffrage universel par un gros chèque au POB. Ces capitalistes étaient portés aux nues par les dirigeants du POB, qui les qualifiaient de « patron social » et les montraient en exemple.

Eh bien, c’est justement ce type de « patron social » qui va instrumentaliser le parti et les syndicats ouvriers.

Car de nouvelles circonstances vont en effet obliger la bourgeoisie à changer de politique à l’égard des organisations ouvrières, et en particulier à l’égard des syndicats.

1914-1920 L’expérience de la collaboration de classe

Ces circonstances, c’est la guerre de 14-18, et pour les comprendre, il faut dire un mot sur la situation politique et économique de la Belgique à cette époque.

La guerre est déclarée le 4 août, et le territoire belge est envahi en 21 jours. Les capitalistes belges voient leurs usines et leurs possessions coloniales menacées non par les ouvriers, mais par leurs rivaux capitalistes allemands : en septembre 1914, le chancelier allemand, Bethmann-Hollweg établit un projet d’annexion du Congo belge.

D’autre part, l’autorité d’occupation va développer une « flamenpolitik », une politique de soutien aux mouvements nationalistes flamands, dans le but de provoquer une scission de la Belgique et d’annexer la Flandre.

La bourgeoisie belge, encore largement dominée par les familles d’industriels et de financiers francophones, se voit directement menacée par cette volonté de l’impérialisme allemand.

Ceci explique que les capitalistes belges vont, dans leur très grande majorité, refuser de collaborer économiquement à l’effort de guerre allemand, et mettre leurs usines en chômage.

Encore faut-il que cette décision ne se retourne pas contre eux. Toute l’économie est rapidement paralysée, et les ouvriers restent sans travail.

Dans les régions urbaines et industrielles du sud, peu nombreux sont ceux qui peuvent se tourner vers une famille à la campagne ou vivre d’un potager. Une situation de famine s’installe dès l’automne 1914.

Pour éviter que la colère contre le chômage et la famine ne se retourne contre les capitalistes belges, les leaders de cette classe vont prendre en main l’organisation du ravitaillement des familles ouvrières.

Dès septembre 1914, Ernest Solvay, qui était un des patrons les plus influents du pays, entreprend dans ce but de créer un Comité National de Secours et d’Alimentation, qui va rapidement devenir le véritable gouvernement de la Belgique occupée.

Mais pour que cette manœuvre réussisse, il faut encore, pour les patrons, couper court à toute critique, à toute force d’opposition au sein de la classe ouvrière.

Émile Franqui va choisir alors de s’appuyer sur les organisations ouvrières et en particulier, sur les syndicats. Franqui, futur gouverneur de la Société Générale, est le représentant du capital financier, qui domine déjà tous les secteurs du capitalisme industriel et commercial. Il est donc en mesure de déterminer une politique, et d’y entraîner le patronat.

Franqui a vu le POB choisir « l’union sacrée » avec sa propre bourgeoisie, contre « l’agression allemande », il a vu Emile Vandervelde et Louis De Brouckère entraîner les travailleurs belges à la guerre contre les travailleurs allemands, en dépit de toutes les anciennes proclamations internationalistes et anti-militaristes des socialistes.

Pour Franqui et ses semblables, il s’agit d’une démonstration politique, la démonstration qu’il est possible de s’appuyer sur le parti réformiste et les organisations syndicales qui en dépendent. Franqui convainc Albert Ier d’intégrer des ministres socialistes dans son gouvernement d’Union Sacrée, pour continuer la guerre contre l’Allemagne.

Et pendant ce temps, lui, dans la Belgique occupée, il va utiliser les organisations syndicales comme réseaux de distribution et de répartition de l’aide alimentaire aux travailleurs.

Voilà ce qu’est l’intelligence politique ! Comment répartir une quantité nettement insuffisante de nourriture, de vêtements et de charbon à une population en train de crever de faim ? Faites-la distribuer par ses porte-parole, par les meneurs, par les opposants habituels…. Quand ils seront mouillés dans la combine, qui va vous critiquer ?

La distribution de cette première forme d’allocation de chômage en Belgique, va se faire par l’intermédiaire des organisations syndicales, ce qui pousse les travailleurs à s’affilier.

Ce n’était pas une obligation légale, mais discrètement, les pouvoirs publics avaient réduit le nombre d’organismes de paiement officiel des allocations de chômage, pour encourager les travailleurs à s’affilier aux syndicats.

Un journal libéral rappelait avec amertume, en 1924 : « On sait que c’est le Gouvernement de l’Union sacrée qui a poussé les ouvriers dans les syndicats en subordonnant à l’affiliation syndicale l’octroi des allocations (de chômage) ».

Les effectifs syndicaux vont dès lors gonfler rapidement, et compter des centaines de milliers d’affiliés mais, évidemment, non plus sur la base d’un regroupement en vue des luttes, mais comme une adhésion à un organisme d’assistance sociale.

Toute cette situation entraîne une profonde confusion, un recul de la conscience au sein des organisations syndicales. Les responsables syndicaux se retrouvent sans activités militantes, au milieu de l’inactivité forcée qui empêche les travailleurs de se rassembler et de lutter au coude à coude. Dans cette situation de crise et de famine provoquée, dans l’esprit de ces syndicalistes, par l’occupation allemande, les voilà invités, par les patrons de leurs localités, à venir réceptionner des tonnes de colis d’aides et à assurer leur répartition entre les familles populaires. Les patrons les invitent à leurs tables, où l’on sert le beurre et le café du marché noir, les traitent comme des égaux, « des partenaires », les flattent habilement.

A l’égard des travailleurs qui dépendent de l’aide, ces syndicalistes deviennent évidemment des personnages tout-puissants, que personne n’a envie de contrarier.

Et bien sûr, au bout de quelques années dans ces terribles circonstances, où chacun voit dépérir ses enfants, les familles des syndicalistes sont les mieux nourries et leurs maisons sont les mieux chauffées.

C’est durant cette situation de crise terrible, qui va durer quatre longues années, que va se former, ou plutôt se déformer, une nouvelle génération de cadres syndicaux, éduquée ainsi aux avantages de la collaboration de classe.

C’est cette génération qui sera aux commandes des organisations syndicales durant les vingt années suivantes.

1918- 1921 : des concessions devant la révolution

La fin de la guerre ne va pas signifier la fin des problèmes pour la bourgeoisie belge. À la suite de la révolution russe de 1917, une montée révolutionnaire va gagner toute l’Europe, et durant quelques années, de 1918 à 1922, la bourgeoisie va craindre l’extension de la révolution à d’autres pays.

En 1918 , révolution en Finlande ; en 1918-1919, en Allemagne, en Hongrie, insurrection ouvrière à Vienne, en Autriche ; en 1921, échec du putsch de Kapp en Allemagne ; 1921-1922, grèves insurrectionnelles en Italie. Dans tous les autres pays, ces événements entraînent une radicalisation des masses, un élan d’une majorité des salariés vers les organisations syndicales pour y mener des luttes revendicatives, et dans quelques pays, la formation de partis communistes révolutionnaires de masse.

Cet afflux vers les partis et syndicats socialistes va aussi se produire en Belgique. Il y a bien sûr le désir de bénéficier de l’assurance chômage qu’offrent les organisations syndicales en Belgique pour des raisons que nous connaissons déjà. Mais il y a aussi la volonté d’arracher une amélioration générale de son existence par les luttes. En 1920, la Centrale des Syndicats Chrétiens, qui attire les travailleurs les moins conscients et les moins combatifs compte 160 000 affiliés contre 700 000 pour les organisations syndicales liées au POB.

Le secrétaire général de la CSC de l’époque, Henri Pauwels, raconte que « on sentait partout un afflux vers les organisations socialistes que rien ne semblait pouvoir arrêter ».

Les travailleurs belges, gagnés par ce climat revendicatif, se lancent dans des grèves importantes : en 1918 au port d’Anvers, en 1919-1920, dans la métallurgie, les mines, et bien d’autres secteurs.

Durant toute cette période, les capitalistes belges vont davantage craindre pour leurs usines que pour leurs marges bénéficiaires. C’est pourquoi ils vont accepter que le gouvernement s’efforce d’apaiser la situation sociale en accordant une série de concessions politiques et économiques à la classe ouvrière : le suffrage universel, la journée des huit heures, la construction de dizaines de milliers de logements à bon marché, l’impôt sur le revenu (pour faire contribuer les riches, au lieu de reposer uniquement sur la taxation de la consommation populaire), etc.

Mais aussi l’abrogation de l’article 310 du Code Pénal, restreignant le droit de grève. Sur base de cette loi, un juge pouvait envoyer un gréviste en prison pour un regard jugé menaçant à un jaune. Avant la guerre, chaque année, des centaines de poursuites judiciaires et d’enfermements avaient lieu pour infraction à l’article 310.

Mais alors que les ouvriers se battaient les armes à la main à Berlin, à Vienne, à Turin, les tribunaux redoutaient qu’en appliquant la loi, ils ne poussent à transformer des luttes économiques en luttes politiques. Or, à quoi sert une loi que vous craignez de faire appliquer ? Pour que « force reste à loi », …le plus simple est de la supprimer !

D’une façon plus générale, les responsables politiques de la bourgeoisie veulent créer l’illusion, parmi les travailleurs, que l’ancien temps ne reviendra plus, que désormais les travailleurs ont des droits, à égalité avec les patrons.

Il y a le droit de vote aux élections bien sûr. Mais ce n’est pas tout. En Russie, puis en Allemagne, se sont généralisés les conseils ouvriers, par lesquels les travailleurs des grandes et même moyennes entreprises tentent d’imposer un contrôle sur le fonctionnement de leurs boîtes et sur les choix des directions, qui engagent leurs vies, leurs salaires…

Ces exemples frappaient vivement les esprits des travailleurs des autres pays, dont la Belgique.

En outre, la révolution russe et la propagande de l’Internationale Communiste, ont contribué à faire largement prendre conscience aux travailleurs, que la guerre, comme les crises industrielles et économiques, sont les conséquences du fonctionnement même du capitalisme, et qu’on ne peut y mettre un terme qu’en mettant tout l’appareil économique sous le contrôle de la population.

Et à l’époque, ce ne sont pas que des mots.

En Allemagne, dans la Ruhr, toute proche de la Belgique, des Comités d’ouvriers, représentant des dizaines de milliers de mineurs, tentent même d’augmenter et de contrôler la production du charbon, pour pallier à la pénurie créée par la crise économique et le sabotage des patrons. C’est un des nombreux exemples par lesquels la perspective de la socialisation des moyens de production est popularisée parmi les travailleurs d’Europe, et forcément aussi en Belgique.

Alors, plutôt que d’attendre que les travailleurs suivent ces ‘mauvais exemples’ à travers des luttes, les dirigeants politiques au service de la bourgeoisie vont eux- mêmes créer des organismes qui copient ces conseils ouvriers, ce contrôle de la population sur le fonctionnement de l’industrie et l’économie.

Et pour éviter que les travailleurs ne se mêlent directement de ce qui les regarde, ces responsables bourgeois vont y associer les appareils syndicaux.

À partir de 1919, le ministre socialiste, Joseph Wauters, va pousser le patronat à accepter la mise en place de Conseils d’entreprises, réunissant les patrons avec des permanents syndicaux ; puis « les Commissions paritaires », regroupant patrons et syndicats par branche d’industrie, pour conclure des « Conventions collectives » sur la progression des salaires et l’amélioration des conditions de travail, en échange de « la paix sociale ».

Avec quel type d’arguments les dirigeants réformistes s’efforçaient-ils de convaincre les patrons de tolérer ces nouveaux rôles des organisations syndicales ?

« Il faut espérer que les employeurs comprendront qu’ils ont intérêt à voir se développer la puissance des syndicats qui servent à canaliser le torrent. Ils empêchent que les revendications se fassent jour d’une manière violente, risquant de désorganiser le pays »

Emile Vandervelde Aux responsables syndicaux, ils tenaient un langage tout aussi explicite :

La fonction du chef syndical « n’est plus de faire mettre en grève. Cette fonction appartient au passé. Aujourd’hui, le grand souci du dirigeant syndical est sinon d’empêcher les grèves, du moins de les organiser, quand ce n’est pas possible d’en faire l’économie »

Henri De Man

Pour susciter l’espoir, et une attente pacifique, parmi les travailleurs, les premières conventions collectives de 1920 promettent beaucoup : fixation d’un salaire minimum, la liaison du salaire à l’index, la diminution de la durée du travail, des congés, des allocations familiales, des indemnités en cas d’accidents de travail,…

Mais toutes ces réformes, expliquent les dirigeants socialistes, ne peuvent être imposées que graduellement, pour laisser du temps aux entrepreneurs…

Mais par contre, ce qui n’attend pas, c’est le soutien de l’Etat aux appareils syndicaux. En 1920, le gouvernement crée un Fonds National de Crise, pour alimenter les caisses d’allocations de chômage des organisations syndicales. C’est, en fait, un financement indirect de l’influence des syndicats sur les travailleurs, et un financement aussi d’un appareil syndical de plus en plus gros, constitué non de militants, mais de salariés syndicaux, salariés disciplinés par rapport à leurs employeurs, les grands dirigeants syndicaux. L’Etat prend aussi en charge une fraction substantielle du financement de l’activité des permanents syndicaux qui s’investissent dans les organismes paritaires.

Toutes ces « avancées syndicales » contribuent au développement spectaculaire d’une large couche de fonctionnaires syndicaux, détachés du travail en usine et des dures conditions d’existence des ouvriers. Une couche très consciemment attachée à la défense des organismes de conciliation sociale qui la font vivre.

Ces cadres et responsables syndicaux doivent constamment s’opposer aux grèves, nombreuses, qui éclatent en dehors de leur contrôle, et qu’ils dénoncent comme « sauvages ». Ils développent une profonde aversion pour les idées de lutte des classes, envers la révolution et les communistes.

Mais leur bonne volonté de se mettre au service des patrons pour maintenir la paix sociale ne va pas être récompensée comme ils l’auraient voulu.

Après la prise du pouvoir par Mussolini en Italie en 1922, les capitalistes belges se sentent rassurés par l’éloignement d’une révolution en Europe, et ils redeviennent offensifs sur le plan économique contre la classe ouvrière. L’application de la journée des 8 heures est remise en cause, comme toutes les belles promesses des Conventions collectives.

Les organismes de la collaboration de classe, dont le fonctionnement représentait toute l’ambition de la bureaucratie syndicale, restent des coquilles vides, tranquillement dédaignées par les patrons. Du moins jusqu’en 1936 lorsque, effrayés par la montée des luttes, les patrons reviendront précipitamment s’asseoir au siège des organismes de collaboration avec les syndicats.

1921-1939 Les militants « luttes de classe » et la bureaucratie réformiste

Regroupement autour des communistes

Au regard de l’évolution des syndicats, on peut se demander ce qu’étaient devenus tous ces militants ouvriers formés à l’école de la lutte de classes ? Et bien, leurs traditions n’avaient pas entièrement disparu. L’évolution à droite des syndicats et du Parti Ouvrier, l’exemple des trahisons et de la corruption écœurante des permanents, poussaient les militants les plus conscients vers l’extrême gauche.

Un exemple de cette évolution, c’est Julien Lahaut. En 1921, c’était encore un syndicaliste, permanent à la Centrale des Métallurgistes de Liège et membre du POB. C’est en prenant la direction d’une grève au complexe sidérurgique d’Ougrée-Marihaye, qu’il va se retrouver aux prises avec son propre appareil. Pour casser la grève, qui a duré 9 mois, les dirigeants syndicaux n’ont pas reculé devant l’emploi de méthodes crapuleuses, comme l’envoi de provocateurs armés au piquet de grève pour y provoquer des incidents, ce qui mènera Lahaut en prison.

Quelques centaines de militants et de dirigeants ouvriers qui, à l’exemple de Julien Lahaut, refusaient de plier l’échine devant ce genre de méthodes, ont choisi de rejoindre le jeune Parti Communiste, créé en 1921.

Quelques centaines, c’est-à-dire rien en regard des milliers de militants fidèles aux directions réformistes, rien par rapport aux centaines de milliers d’ouvriers d’usine. Et pourtant, c’est à partir de cette base-là que va se développer une opposition « lutte de classe » au sein des entreprises ; une opposition qui à travers des crises et des événements terribles, va finir par obtenir une influence considérable auprès des travailleurs.

Après 1923, le recul de la combativité et la passivité politique des travailleurs va laisser les militants communistes isolés, sans prise sur les événements. Ils en profitent pour consolider une organisation de lutte, vouée au travail militant dans les entreprises, à contre-courant de l’évolution des autres organisations socialistes, et notamment des organisations syndicales. Celles-ci deviennent de plus en plus des appareils de gestionnaires, subventionnés par les communes, les provinces, les gouvernements où siègent les socialistes.

La crise radicalise les masses

Mais la crise de 1929 va créer, en l’espace de quelques années, une situation sociale et politique qui va changer profondément les possibilités d’intervention des militants ouvriers.

Lorsque la crise atteint la Belgique, au début de 1930, le chômage et la misère s’abattent massivement sur les travailleurs.

Le gouvernement tente de lutter contre la crise par une politique de « déflation compétitive », c’est-à-dire une baisse des prix censée rendre des parts de marchés aux entreprises belges.

Les organisations syndicales sont conviées par les fédérations d’employeurs à convenir « d’un commun accord » de baisses de salaires. Ces comités patrons-syndicats siègent par branches : métallurgie, mines, commerce, transport…

Bien sûr, tout le sport de ce petit jeu consiste pour le patronat à obtenir des baisses de salaires plus importantes que les baisses des prix à la consommation.

A chaque nouvelle réunion sectorielle, nouvelle baisse des salaires : évidemment les commissions siègent de plus en plus souvent, tous les mois en 1931, puis tous les 15 jours, puis toutes les semaines en 1932.

Au début, les travailleurs sont abattus par la succession des faillites ou des mises en chômage économique. Toutes les entreprises, dans tous les secteurs, sont atteintes.

Le POB obtient au Parlement une mesure pour que le travail restant (et donc le salaire) soit partagé « équitablement » entre tous. Après les baisses du salaire horaire, vient le raccourcissement des semaines travaillées et payées… La semaine de 5 jours, celle de 4, puis celle de 3. Mais on a faim 7 jours sur 7.

D’où viendra la réaction ? Les dirigeants des organisations syndicales expliquent qu’il n’y rien à faire, qu’à attendre la reprise. Les travailleurs sont hébétés, abattus par le spectacle de la faim dans leur famille.

Au sortir de l’hiver 1932, les travailleurs du charbonnage du Levant à Mons (Wasmes) se révoltent contre les coups des contremaîtres. Un geste de désespoir. Mais il se trouve parmi eux des militants communistes pour donner des perspectives. Il faut aller au carreau de mine voisin pour appeler les cousins, les oncles, les amis à sortir. La grève se propage comme une traînée de poudre ; le Borinage à l’arrêt, elle gagne La Louvière. Des milliers de grévistes s’assemblent sur la place Mansart.

Un homme monte au balcon de la maison du peuple : « Il faut 1000 cyclistes pour aller demain à Charleroi ». Le lendemain, le cortège se met en route, racontant, expliquant, convainquant partout. La grève s’étend à tout le Hainaut.

Les dirigeants syndicaux, les journalistes de la presse socialiste, les élus du POB, sont médusés. D’où viennent cette énergie, ce sens de l’initiative, cet esprit de suite dans l’action qui se sont emparés de « cette jeunesse qu’on est plus habitué à voir traîner du côté des terrains de sport que dans les réunions syndicales » ?

« Les communistes, s’étranglent les dirigeants syndicaux, forment des comités de grèves auxquels participent mêlés des mineurs, des métallurgistes, et même des non syndiqués ! » Des non syndiqués ! Sacrilège suprême pour ces bureaucrates…

La perspective des militants communistes est en effet de miser sur le dépassement des cloisons syndicales traditionnelles, d’organiser tous ceux qui veulent prendre en main la réalisation des objectifs qui leur semblent nécessaires à la grève.

Finalement, malgré un début d’extension à Liège, la grève s’éteindra sans avoir obtenu autre chose qu’un ajournement des nouvelles baisses de salaires. Mais les militants communistes ont cessé d’être des inconnus pour des milliers de travailleurs, qui ont vécu une expérience de lutte qui a changé leur conscience.

Durant les années suivantes, ce genre d’expériences va se répéter, à plus petite échelle mais de nombreuses fois. Lors de ces grèves, les dirigeants syndicaux réformistes sont dépassés. Ils vivent et travaillent loin des usines : ce ne sont pas des délégués élus, mais des permanents envoyés par leur appareil pour informer les travailleurs des décisions et des choix du syndicat.

Ils sont incapables de disputer aux militants implantés dans les entreprises la direction d’un mouvement. Leur seule arme, c’est l’exclusion systématique de tous ceux qui s’opposent.

Tout l’appareil syndical socialiste se réorganise en fonction de cette préoccupation. Depuis la motion Mertens de 1925, les statuts prévoient explicitement l’incompatibilité d’un mandat syndical et de l’appartenance au PC. Mais les militants communistes sont souvent des clandestins, leur étiquette politique n’apparaît que lorsqu’ils ont gagné le soutien des syndiqués et des travailleurs. Alors les bureaucrates trichent, changent les statuts et les règlements pour s’efforcer de garder le contrôle de l’appareil. Progressivement, les organismes centraux imposent le contrôle sur les Fédérations régionales et sectorielles, sur leurs caisses de résistance, le déclenchement et la fin des conflits, la désignation à des postes de responsabilités, etc. Cette réorganisation aboutit à la création de la CGTB, en 1937.

Mais ce n’est plus qu’une coquille à moitié vide. Dans ses mémoires, un de ces dirigeants réformistes, Jos Bondas, reconnaît que durant cette période : « l’exclusion des communistes et des syndicalistes combatifs a considérablement fragmenté et affaibli le syndicat dans de nombreux secteurs et régions ».

Ayant renoncé au soutien des travailleurs conscients et militants, l’appareil doit compter de plus en plus sur le soutien de l’Etat pour l’entretenir. Lors de débats internes du POB sur une éventualité de participation à des gouvernements de coalition avec les partis bourgeois, les dirigeants syndicaux tiennent systématiquement les positions les plus à droite, les plus participationnistes, tant ils comptent sur les subsides que pourraient leur obtenir des ministres socialistes.

Mais, malheureusement pour eux, cet Etat allait bientôt changer de politique à leur égard. Après une période d’amélioration économique au milieu des années 30, la crise recommence après 1937. Les milieux bourgeois ont vu les grèves de 1936, et le rôle influent qu’y ont joué les communistes, en Wallonie mais aussi au port d’Anvers, dans les industries à Alost et ailleurs. Ils craignent que la crise n’entraîne une radicalisation des masses contre lesquelles les appareils réformistes ne pourraient plus jouer leur rôle comme en 1920.

A quoi servent encore, pensent-ils, ces appareils syndicaux coûteux ? Il faut en finir avec eux et revenir sur toutes les concessions politiques et économiques faites aux travailleurs. Il faut mettre les ouvriers au pas, comme on l’a fait en Allemagne. « Monsieur le Chancelier Hitler » est un homme admiré et respecté par les milieux d’affaires. Les politiciens et les diplomates se découvrent germanophiles. La presse, les experts, vantent le ‘modèle social’ allemand « qui a donné un travail aux chômeurs ».

« Il faut un pouvoir fort ». Tel est l’état d’esprit qui se répand parmi les dirigeants. Le « pouvoir fort » va bientôt venir vers eux, en mai 1940. Face à cette évolution, que tout le monde peut mesurer dans la presse et à travers les déclarations des ‘décideurs’, les organisations réformistes sont paralysées, incapables de réagir et de trouver une issue.

Lorsque l’occupant nazi interdira toutes les organisations ouvrières en Belgique, dont, bien entendu, les syndicats, les dirigeants réformistes n’y opposeront aucune résistance dans le meilleur des cas, ou proposeront carrément de collaborer avec le nouveau régime à la mise en place de syndicats fascistes.

Et pourtant, malgré la dure réalité de cette situation, il faut retenir que les militants « lutte de classes », peu nombreux en 1921, ont en 1939 une implantation dans les grandes entreprises et un crédit auprès des travailleurs bien plus grands que lors de la montée révolutionnaire.

Eux ne vont pas disparaître et vont réussir à s’adapter à ces circonstances très difficiles. Nous verrons une prochaine fois comment ils vont réussir, malgré la guerre, l’occupation, la Gestapo, à reconstruire des organisations syndicales « luttes de classes », et comment les patrons et les dirigeants réformistes vont s’allier pour en reprendre le contrôle.

 

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L’aide sociale accordée par les CPAS https://commission-des-pensionnes.cgsp-admi-mons.be/laide-sociale-accordee-par-les-cpas/ Tue, 11 Feb 2020 11:33:18 +0000 https://commission-des-pensionnes.cgsp-admi-mons.be/?p=350

L’aide sociale accordée par les CPAS

La loi du 8 juillet 1976 – Loi organique

Sur cette matière, voir notamment le site www.ocmw-info-cpas.be

La mission générale du CPAS

La loi du 8 juillet 1976 qui va créer et définir le Centre public d’action sociale a introduit une petite révolution dans le traitement de la Pauvreté en Belgique.

Jusque là, les commissions d’assistance publique créées en 1925 dans chaque commune apportaient secours aux « indigents ». Une notion floue appréciée souverainement par l’institution qui donnait l’impression d’une faveur accordée à ceux qui fournissaient la preuve de leur état de besoin. La relation entre assistés et institution était marquée par le paternalisme.

L’aide sociale dont il est question désormais diffère de l’assistance par sa philosophie. Il ne s’agit plus de « faveur » mais d’un droit universel accordé au nom de la dignité humaine par une société qui estime de son devoir d’aider les plus démunis:

Art 1: Toute personne a droit à l’aide sociale. Celle-ci a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine. (…) art 57: Le centre a pour mission d’assurer aux personnes et aux familles l’aide due par la collectivité(…)

Les missions des CPAS ne sont pas détaillées par la Loi organique laissant ainsi une grande autonomie à chaque CPAS pour concrétiser ce droit. Et l’aide peut prendre des formes extrêmement variées: aide financière, avances sur pensions alimentaires, mise à l’emploi, médiation de dettes, aide psychosociale, logement, aide médicale, soins à domicile,…

Le CPAS est également compétent pour accorder le droit à l’intégration sociale (qui a succédé MINIMEX) qui, lui, est défini très strictement par la Loi du 26/05/2002.

Depuis janvier 2004, les Centres publics d’aide sociale sont devenus des Centres publics d’action sociale indiquant ainsi une volonté du pouvoir politique de ne plus se contenter d’accorder passivement une aide matérielle mais de favoriser l’intégration sociale des personnes aidées par leur insertion sur le marché de l’emploi.

Structure du CPAS

Le conseil

Le CPAS est administré par un conseil dont les membres (de 9 à 15 membres selon le nombre d’habitants de la commune) sont élus par le conseil communal. Le conseil de l’action sociale élit le Président.
Le conseil est l’organe de décision du CPAS. Il se réunit au moins une fois par mois. Ses délibérations se tiennent à huis clos et les membres sont tenus au secret afin d’assurer l’aide sociale avec un maximum de discrétion.
Le conseil de l’action sociale constitue en son sein un bureau permanent chargé de l’administration courante. Le conseil peut également constituer des comités spéciaux auxquels il peut déléguer des attributions définies (ex comité de gestion d’un hôpital, comité spécial du service social).

Le président

La présidence du CPAS est extrêmement importante même si les décisions sont prises par le Conseil. En effet, tout passe par le président qui convoque les réunions, établit l’ordre du jour, est chargé de l’exécution des décisions. Il est de droit président du bureau permanent et des comités spéciaux. Sa voix est prépondérante lors des délibérations. Il peut assister aux réunions du Collège des bourgmestres et échevins avec voix consultative. C’est lui qui est responsable pour accorder une aide sociale urgente.

Le secrétaire

Le secrétaire est un fonctionnaire. Il n’est donc pas élu mais engagé par le CPAS. Il assiste aux réunions du Conseil mais ne peut pas voter. Il exécute au jour le jour la politique décidée par le Conseil. Il instruit les affaires, rédige les PV. Il dirige l’administration et le personnel et est responsable de la comptabilité. En Wallonie, on parle de directeur général.

Le receveur

Il est lui aussi un fonctionnaire engagé par le CPAS. C’est lui qui est chargé d’effectuer les recettes et d’acquitter les dépenses.
En Wallonie, on le désigne sous le nom de directeur financier.

Le service social

Chaque CPAS doit engager au moins un travailleur social. Sa mission consiste à aider les personnes et les familles à surmonter ou à améliorer les situations critiques dans lesquelles elles se trouvent. Pour ce faire, le travailleur social procède aux enquêtes sociales préparatoires aux décisions à prendre, informe les demandeurs, assure la guidance sociale des intéressés, etc…

Financement

Le CPAS dispose de ses ressources propres, de subsides pour les services qu’il rend, de l’intervention financière de l’État en faveur des réfugiés et des personnes sans domicile, de remboursement par l’État d’une partie des DIS alloués par le CPAS et des sommes récupérées auprès des particuliers.
Il dispose en outre de fonds alloués par la commune et par le Fonds spécial de l’aide sociale existant au sein du Fonds des communes.

L’aide sociale

Le droit à l’aide sociale est défini en référence au principe de « dignité humaine ». Ce critère est fort vague. Chaque CPAS dispose d’une certaine marge d’appréciation.

Le droit à l’intégration sociale (voir plus loin) est par contre beaucoup plus précis puisqu’il fixe les critères d’intervention.

Les formes de l’aide sociale

L’aide matérielle

Aide financière

Celle-ci est accordée aux personnes qui n’ont pas droit au revenu d’intégration sociale (RIS) et qui ne disposent pas de ressources suffisantes. On la désigne souvent sous le terme d’ « ERIS » (équivalent au revenu d’intégration sociale);

  • avances sur prestations sociales
  • aide équivalente aux prestations familiales garantiespour ceux qui ont des enfants et qui n’ont pas droit aux allocations familiales
    • aide financière occasionnelle
    • aide afin de couvrir des dépenses exceptionnelles (frais de déplacement pour suivre une formation, frais de scolarité,…)

Aide au logement

Paiement d’une garantie locative, des frais de déménagement,…

Le CPAS est également averti des situations d’expulsion sur son territoire et informe dès cet instant l’intéressé de ce qu’il peut lui apporter une aide.

Aide en matière de santé

Le CPAS doit permettre à la personne de bénéficier de l’AMI éventuellement en payant les frais d’affiliation et de cotisations complémentaires.

Le CPAS peut accorder une aide médicale qui permet aux personnes d’accéder aux soins sans devoir débourser d’argent. Cette aide peut prendre différentes formes:

  • La carte médicale et/ ou pharmaceutique est une carte attribuée par le CPAS pour une durée et des prestations déterminées. Elle mentionne le prestataire de soins et permet à l’usager de ne plus demander d’autorisation préalable pour les prestations couvertes par la carte.
  • Le réquisitoire est un moyen de paiement octroyé par le CPAS à un usager. Ce document signale au prestataire de soins l’engagement de prise en charge par le CPAS. Avances récupérables pour achat de lunettes, pour frais d’orthodontie…
  • Avances récupérables pour achat de lunettes, pour frais d’orthodontie…

En principe, le bénéficiaire de l’aide a le libre choix du médecin. Cependant, la jurisprudence a admis que ce choix soit limité aux médecins agréés par le CPAS ou en tout cas à des médecins conventionnés.

L’aide médicale urgente est la seule due aux personnes en séjour illégal en Belgique en état de besoin.

Cette aide médicale urgente ne se limite pas aux situations d’extrême urgence ou aux situations traitées par le service des urgences d’un hôpital. En effet, l’AR du 12/12/1996 stipule que l’aide peut être tant préventive que curative. C’est le dispensateur de soins qui détermine par un certificat médical obligatoire la nécessité des prestations effectuées.

Le CPAS compétent est théoriquement celui du lieu où le demandeur réside habituellement. Cependant, lorsque la personne se rend directement à la garde d’un hôpital parce qu’il y a extrême urgence imprévue, le CPAS territorialement compétent sera celui du territoire sur lequel se trouve l’établissement hospitalier.

Le CPAS pourra se faire rembourser l’aide médicale urgente attestée par certificat médical auprès du Ministère de la Santé publique.

Aide en nature

Colis alimentaires, vêtements, meubles.

Aide psycho-sociale

Guidance, information et assistance dans les démarches sociales.

Aide sous forme de travail

Le CPAS peut engager une personne de manière à lui ouvrir les droits à la sécurité sociale des travailleurs salariés. Cette personne travaille au CPAS ou est mise à disposition d’une entreprise, d’une asbl ou d’un service communal.

Services et équipements

Tout CPAS peut créer des services selon les besoins et les possibilités. Il peut aussi collaborer avec des associations ou des services existants (idée de réseau)

Ex: crèches, services d’aide familiale, repas chauds à domicile, maisons d’accueil, maisons de repos, hôpitaux,…

Conditions pour bénéficier de l’aide

Il n’y a pas de condition objective à l’octroi de l’aide sociale. La demande sera analysée au cas par cas, en tenant compte des ressources et des charges que doit assumer le demandeur.

Il n’y a pas de condition d’âge ni de nationalité (mais le demandeur doit séjourner légalement en Belgique sauf pour l’aide médicale urgente). Le CPAS peut exiger que le demandeur soit disposé à travailler.

Le Droit à l’intégration sociale (DIS)

Les conditions d’octroi

Résidence effective en Belgique

Le demandeur doit séjourner habituellement et en permanence sur le territoire.

Âge

  • être majeur (18 ans);
  • ou mineur et émancipé par le mariage;
  • ou mineur célibataire et avoir la charge d’un ou de plusieurs enfants;
  • ou mineure et enceinte.

Nationalité

  • belge;
  • citoyen européen qui bénéficie d’un droit au séjour de plus de trois mois ou membre de sa famille qui l’accompagne ou le rejoint;
  • apatride ou réfugié reconnu;
  • ou étranger hors EEE inscrit au registre de la population.

Ressources insuffisantes

Pour bénéficier du droit à l’intégration sociale, la personne doit disposer de ressources insuffisantes par rapport à des barèmes définis.

Le CPAS calcule les ressources de la personne conformément à la réglementation et accorde l’éventuel complément de revenu d’intégration afin que le demandeur dispose du montant fixé pour la catégorie de bénéficiaires dont il relève.

Montants annuels Montants mensuels
Cohabitants 6 669,69€ 555,81 €/mois€
Isolés 10 004,54€ 833,71 €/mois
Personne avec charge de famille 13 339,39 € 1 111,62 €

 

Pour établir ce calcul, on tient compte des ressources du ménage c’est-à-dire des ressources que possèdent les personnes avec lesquelles le demandeur vit en couple.

Le CPAS peut également tenir compte des ressources des parents, enfants et alliés qui vivent avec lui.

On tient compte des ressources professionnelles, des ressources provenant de prestations sociales, des ressources immobilières, ressources mobilières, rentes, pensions alimentaires,…

Il n’est pas tenu compte des allocations familiales octroyées aux enfants du demandeur, de l’aide sociale et des dons, de la pension alimentaire versée au profit d’enfants mineurs à charge, …

Disposition au travail

La personne doit être disposée à travailler, à moins que des raisons de santé ou d’équité l’en empêchent.

Caractère résiduaire du droit

Le droit à l’intégration est l’aide ultime (ou le dernier filet) et la personne ne peut la demander qu’après avoir fait valoir ses droits aux prestations dont elle peut bénéficier en vertu de la législation sociale belge et étrangère (droit au chômage ou à d’autres prestations,…).

Il peut être imposé également au demandeur de faire valoir ses droits à l’égard des « débiteurs d’aliments »tip.

Forme du droit à l’intégration sociale

Les moins de 25 ans

Pour les moins de 25 ans, le droit à l’intégration sociale passe prioritairement par l’emploi. Les CPAS ont l’obligation de fournir aux jeunes dans les trois mois de leur demande soit contrat de travail soit d’assortir le revenu d’intégration d’un projet individualisé d’intégration sociale devant mener à l’emploi.

Le projet d’intégration peut prendre trois formes:

  • projet de mise à l’emploi;
  • projet de formation;
  • projet d’études de plein exercice.

Les plus de 25 ans

Pour les plus de 25 ans, l’intégration sociale par l’emploi est moins prioritaire. Le projet individualisé d’intégration sociale n’est plus une obligation mais le CPAS ou le demandeur peuvent le demander.

 

Comment demander l’intervention du CPAS?

CPAS compétent

Le centre public d’action sociale compétent est généralement le centre de la commune où la personne se trouve habituellement. On parle du « Centre secourant ».

Lorsque la personne séjourne dans un hôpital psychiatrique, un établissement pour personnes handicapées, une maison de repos, etc…, le centre compétent est celui de la commune où la personne est inscrite au registre de la population. On parle du « Centre du domicile de secours ».

Le CPAS qui ne se considère pas compétent devra transmettre la demande par écrit au CPAS estimé compétent dans les 5 jours calendrier après en avoir averti le demandeur.

Introduction de la demande

La demande est introduite par lettre ou en se présentant en personne à la permanence du CPAS. La demande peut également être introduite par toute autre personne désignée par le demandeur.

Les CPAS doivent mettre en place au moins deux permanences par semaine.

Le même jour, un accusé de réception est remis ou envoyé au demandeur.

Examen de la demande

Le travailleur social réalise une enquête sociale qui lui permet de recueillir tous les éléments pour établir le droit. Cette enquête peut comporter une visite à domicile.

Le demandeur a l’obligation de collaborer à l’enquête en fournissant tous les renseignements utiles à l’examen de sa demande. Il doit informer le CPAS de tout élément nouveau susceptible d’avoir une répercussion sur l’aide qui lui est octroyée. L’absence de collaboration est souvent invoquée pour justifier une absence de décision.

Le travailleur social doit signaler explicitement au demandeur du droit à l’intégration sociale qu’il peut être entendu pour défendre son point de vue par le Conseil ou l’organe de décision. Le demandeur peut, pour exercer ce droit, se faire assister ou représenter par une personne de son choix s’il en fait la demande par écrit.

Cette possibilité d’être auditionné par le Conseil n’existe pas dans le cadre d’une demande d’aide sociale.

Prise de décision

La décision doit être prise dans les 30 jours qui suivent la réception de la demande. La décision est notifiée dans les huit jours à l’intéressé par lettre recommandée. Cette lettre doit motiver la décision.

Le droit est revu systématiquement au moins une fois par an.

Recours contre la décision (ou son absence)

Un recours peut être introduit par le demandeur contre la décision du CPAS. Mais aussi contre l’absence de décision dans les délais requis (d’où l’importance de l’accusé de réception qui prouve que la demande a été introduite).

Le recours est introduit auprès du tribunal du travail du domicile de l’intéressé dans les trois mois.

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Histoire de la sécurité sociale https://commission-des-pensionnes.cgsp-admi-mons.be/histoire-de-la-securite-sociale/ Tue, 11 Feb 2020 11:18:26 +0000 https://commission-des-pensionnes.cgsp-admi-mons.be/?p=343

La sécurité sociale c’est quoi?

La sécurité sociale est un système d’assurance sociale qui comprend toutes les prestations auxquelles ont droit les assurés et qui ont pour objet de compléter ou remplacer le revenu professionnel du travailleur afin de le préserver des conséquences de certains risques sociaux.

Le terme « Assurance » implique la notion de risques contre lequel on désire se protéger. Dans le cadre de la sécurité sociale, il s’agit de risques sociaux c’est-à-dire, tout événement empêchant la personne d’avoir un revenu professionnel: la sécurité sociale lui assure alors un revenu de remplacement; ou affectant le niveau de vie de la personne: le coût des soins de santé, la charge de famille qui alourdissent les dépenses des ménages, la sécurité sociale assure alors un revenu de complément.

On parle d’assurance sociale parce qu’il s’agit d’un système d’assurances (on cotise pour couvrir les risques que l’on pourrait rencontrer soi-même) mais qui diffère des assurances privées parce qu’il est fondé sur la solidarité.

Quand on souscrit une assurance privée, la prime est fonction de l’importance du risque et la compagnie d’assurance peut refuser de prendre en charge un risque certain (on n’assure pas quelqu’un qui est déjà gravement malade). Dans la sécurité sociale, les cotisations sont fonction des revenus: une personne présentant un risque élevé payera des cotisations en fonction de son revenu dans les mêmes proportions qu’une personne ne présentant qu’un risque faible.

Ainsi, ce système réalise une redistribution des revenus au sein de la société: des jeunes vers les vieux, des bien-portants vers les malades, de ceux qui ont du travail vers les chômeurs, des hommes vers les femmes.

On décide librement de prendre une assurance privée. Par contre, la sécurité sociale est obligatoire pour tous les travailleurs.

Grâce à la sécurité sociale, le taux de pauvreté en Belgique atteint les 15,5 %. Sans sécurité sociale, ce taux avoisinerait les 43,1 %.

 

Histoire de la sécurité sociale

« L’histoire de la sécurité sociale est indissociable de l’histoire de l’industrialisation mais aussi de l’histoire du mouvement ouvrier. La réponse à apporter au problème de l’insécurité d’existence va devenir l’enjeu d’une formidable lutte entre forces rivales de la société belge.

Pauvreté et vulnérabilité de la classe ouvrière

La révolution industrielle du 19e siècle a favorisé l’essor économique de la Belgique mais a provoqué en même temps une pauvreté importante au sein de cette nouvelle classe qu’elle a créée: la classe ouvrière. Celle-ci, tirant son unique moyen de subsistance de la « location de sa force de travail », apparaît comme particulièrement vulnérable. D’autant plus que l’urbanisation et l’exode massif des populations des campagnes vers les villes ont entraîné la rupture des solidarités familiales et communautaires. L’industrialisation elle-même et le mode de production ont généré de nouvelles formes de malheur social: convulsions économiques entraînant le chômage, accidents du travail dus au machinisme, etc…

Le monde politique de l’époque, se conformant aux thèses libérales classiques, est opposé à toute intervention des pouvoirs publics dans ce qu’il considère comme un domaine privé. Et souvent, il explique la pauvreté par des arguments moraux et religieux. Si l’ouvrier qui ne peut plus travailler se trouve dans un état d’extrême dénuement, c’est parce qu’il a été imprévoyant et n’a pas épargné. Pour remédier à ce défaut de prévoyance, il faut l’éduquer.

Mais ce discours moralisateur nie une donnée fondamentale: les salaires des ouvriers sont tellement faibles qu’ils suffisent à peine à permettre leur subsistance et la propension à épargner est donc quasi nulle.

Les caisses de secours mutuels

Certains mécanismes de protection sociale existent cependant. Il y a des structures de bienfaisance, des hospices, des hôpitaux mais cette aide induit un rapport tutélaire où le pauvre est assimilé à un « enfant », situation inacceptable pour le mouvement ouvrier qui tentera, dès lors, de s’organiser lui-même.

Des caisses de secours mutuels sont créées à l’instigation d’ouvriers qualifiés, de bourgeois philanthropes ou de patrons ayant des préoccupations sociales. Mais gérées de manière élémentaire et regroupant un nombre trop restreint de membres, elles se révèlent incapables d’offrir des garanties sérieuses. L’État va donc intervenir pour faciliter la création et le développement de ces sociétés mutualistes.

Le modèle allemand

Sous la pression d’un mouvement ouvrier qui se développe et s’organise partout en Europe, le pouvoir politique va devoir intervenir dans la question sociale.

Ainsi, entre 1883 et 1889, le gouvernement allemand, dirigé par Bismarck, institue le premier système d’assurances sociales obligatoires dans les domaines de l’assurance maladie, des accidents de travail et de la vieillesse. L’objectif de Bismarck est, assez cyniquement, de répondre aux revendications ouvrières pour désamorcer le développement du mouvement socialiste.

De la liberté subsidiée aux assurances sociales obligatoires

Le modèle allemand ne convainc pas l’État belge qui préfère adopter une politique fondée sur le principe de la liberté subsidiée: la personne décide librement de s’affilier et de cotiser et l’État accorde éventuellement une aide sous forme de subsides.

  • 1898: subsides aux mutuelles reconnues;
  • 1900: loi sur l’assurance vieillesse qui met en place un système de pensions libres soutenues par des subventions de l’État.

À la fin du 19e siècle, des caisses de chômage apparaissent au sein des organisations syndicales et sont soutenues par les pouvoirs locaux.

Mais ce système de liberté subsidiée s’avère incapable d’assurer une réelle sécurité d’existence à la classe laborieuse, la plupart des ouvriers restent « imprévoyants » et l’État doit se résoudre à mettre en place des assurances obligatoires:

  • 1903: première législation obligatoire consacrée aux accidents de travail;
  • 1911: régime d’assurance vieillesse et décès obligatoire pour les mineurs.

La crainte d’une contagion de la révolution soviétique et le suffrage universel qui permet aux socialistes d’arriver au gouvernement belge vont favoriser le développement des assurances sociales obligatoires alimentées par des cotisations des patrons et des travailleurs.

  • 1924: assurance pension obligatoire pour les ouvriers (1925 pour les employés);
  • 1925: indemnisation des maladies professionnelles;
  • 1930: système obligatoire d’allocations familiales;
  • 1936: congés payés.

La mise en place de la sécurité sociale: l’arrêté-loi de 1944

Durant la Deuxième Guerre mondiale, patrons, représentants des syndicats et quelques hommes politiques vont négocier un Pacte social qui, en échange de la paix sociale, se propose de développer un système coordonné de sécurité sociale moderne. Il s’agit de « Tout changer pour que rien ne change et faire disparaître la lutte des classes » .

Le projet définit le futur système de sécurité sociale autour de quatre axes:

  • Rendre obligatoires l’assurance chômage et l’assurance maladie et conserver les structures déjà créées pour les pensions et les allocations familiales;
  • soumettre tous les salariés à l’assurance;
  • centraliser la perception des cotisations;
  • rendre les assurances sociales plus généreuses qu’avant-guerre pour qu’elles constituent un réel remplacement de revenus.

Ce projet va séduire le gouvernement belge revenu d’exil en septembre 1944 parce qu’il est très facile à mettre en œuvre. L’Arrêté-loi de 1944 innove donc très peu si ce n’est en créant un organisme unique de perception des cotisations (l’ONSS). Les dispositions légales en matière de pensions et d’allocations familiales sont celles d’avant-guerre, seules les prestations sont majorées. L’assurance maladie-invalidité et l’assurance chômage deviennent obligatoires mais on conserve les organes de prestations d’avant-guerre (les mutuelles et les syndicats).

L’essor de la sécurité sociale

Les « trente glorieuses » (1944-1974) se caractérisent par un essor économique et social considérable mais aussi par une généralisation progressive de la condition salariale. Celle-ci devient la référence à partir de laquelle se déterminent les droits sociaux. Les indépendants eux-mêmes se définissant désormais aussi comme travailleurs, veulent bénéficier de la sécurité sociale. En 1967, naîtra donc un régime de sécurité sociale pour les travailleurs indépendants.

Certaines prestations (les soins de santé, les allocations familiales) couvrent progressivement l’ensemble de la population.

L’impact de la crise économique

Le premier choc pétrolier de 1974 va révéler de manière criante les faiblesses de l’économie occidentale: industrie vieillie très sensible à la hausse des prix de l’énergie et des matières premières, forte concurrence internationale…. Les entreprises ferment ou restructurent. Le chômage va connaître une croissance vertigineuse. La Sécurité sociale voit ses dépenses s’accroître alors que les recettes baissent.

L’État, qui doit faire face à une dette publique considérable, va rétablir son équilibre budgétaire notamment en se désinvestissant progressivement du financement de la sécurité sociale. Son intervention passe de 30% du budget de la sécurité sociale à moins de 15%.

Pour compenser ce retrait, on augmentera les cotisations et on aura recours au financement alternatif constitué d’un pourcentage des recettes de TVA affecté à la sécurité sociale et, depuis 2008, d’une petite partie des recettes du précompte mobilier.

Durant les années de crise, on assiste également à une limitation des prestations et surtout à une différenciation selon la situation familiale. C’est l’apparition dans tous les secteurs de la sécurité sociale de la notion de « cohabitant » qui, parce qu’il peut compter sur un conjoint ayant des revenus, verra ses indemnités diminuées considérablement.

On rompt ainsi avec le principe même de l’assurance puisque les droits acquis ne dépendent plus uniquement des cotisations. On réintroduit aussi la notion de besoin.

Enfin, il est à noter que faire appel à la solidarité familiale, génère dépendance et reproduction des inégalités sociales mais aussi fraudes et contrôles.

Les évolutions récentes de la sécurité sociale

L’octroi des indemnités était lié au fait d’avoir cotisé et d’être confronté à la réalisation du risque. Cette légitimité est progressivement remise en question et il est exigé du bénéficiaire, principalement du chômeur, qu’il adopte une attitude responsable et s’engage à tout mettre en œuvre pour sortir de sa situation. C’est le principe de l’activation des allocations.

La sécurité sociale est aussi l’objet d’attaques idéologiques incessantes par les tenants du discours néolibéral largement dominants dans les institutions internationales et qui voudraient lui substituer un modèle fondé sur l’assurance privée. De fait, progressivement, le taux de remplacement des prestations sociales (le rapport entre les prestations moyennes et le salaire moyen) s’est détérioré, incitant d’une part les particuliers à prendre des assurances complémentaires (épargne-pension, assurance hospitalisation etc…) et d’autre part, l’État à prendre des mesures correctives visant uniquement les plus démunis et plus particulièrement les travailleurs pauvres. « À la place d’adapter les recettes (de l’État) aux dépenses, on a de plus en plus adapté les dépenses aux recettes comme dans une situation de rationnement ».

La crise de la dette souveraine apparue en 2010 et due à la nécessité pour les États de secourir les institutions financières s’est traduite par des plans d’austérité qui touchent les dépenses de protections sociales. Les discours d’inspiration néolibérale ont repris vigueur insistant sur la nécessité de résoudre le problème du « trou » de la sécurité sociale.

Ainsi, un peu partout en Europe, a-t-on pris des mesures visant à reculer l’âge de la retraite, flexibiliser le marché du travail et rendre le chômage plus difficilement accessible.

Mais ces mesures, loin de relancer l’économie, contribuent à un appauvrissement des populations et à une diminution de leur pouvoir d’achat.

La Belgique suit le mouvement général. Ainsi en 2012, les pensions et le chômage ont connu des réformes importantes.

Par ailleurs, la longue crise gouvernementale a abouti à une nouvelle réforme de l’État qui va toucher directement la sécurité sociale puisqu’elle prévoit le transfert vers les communautés et les régions des allocations familiales, du contrôle de l‘activation des chômeurs et d’autres matières relevant de l’assurance soins de santé ou de l’assurance chômage.

Cette réforme pose de grandes questions. Outre qu’elle remet en question le principe de solidarité et la place des partenaires sociaux dans la gestion de la sécurité sociale communautarisée. On peut s’interroger sur l’efficience d’une sécurité sociale dont les risques reposeraient sur une assiette de population réduite et qui risqueraient de voir s’accroître les coûts de gestion en même temps que la multiplication des administrations qui la mettent en œuvre.

De plus, sa mise en œuvre concrète révèle des problèmes d’une incroyable complexité surtout en matière d’allocations familiales.

Cette évolution de la sécurité sociale n’a fait l’objet d’aucun réel débat au sein de la société.

Comment est organisée la sécurité sociale?

Le système de sécurité sociale mis en place en 1944 repose sur 4 principes fondamentaux:

  • le principe de l’assurance obligatoire pour tous les travailleurs;
  • le principe de la solidarité: on ne cotise pas pour soi, il y a des transferts entre les catégories sociales;
  • le principe de la séparation entre les régimes des travailleurs salariés et des travailleurs indépendants;
  • e principe de la gestion paritaire: les organisations syndicales et patronales sont associées à la gestion de la sécurité sociale.

La sécurité sociale des travailleurs salariés comprend sept secteurs:

  • l’assurance maladie invalidité;
  • l’assurance contre le chômage;
  • les allocations familiales;
  • les pensions;
  • les vacances annuelles des ouvriers;
  • les accidents de travail;
  • les maladies professionnelles.

La sécurité sociale des travailleurs indépendants est moins développée et comprend 4 secteurs:

  • les pensions;
  • les allocations familiales;
  • l’assurance maladie invalidité;
  • l’assurance faillite.

Les fonctionnaires sont soumis à un régime distinct qui varie selon qu’ils soient nommés ou non, qu’ils travaillent dans une administration locale (communes et provinces) ou non sauf pour l’assurance soins de santé qui est la même que celle des travailleurs salariés.

Chaque branche de la sécurité sociale a conservé une grande autonomie.

Comment est financée la sécurité sociale?

La Sécurité sociale est financée par les cotisations sociales des employeurs et des travailleurs et des subventions de l’État.

Les cotisations sociales

Les cotisations sociales sont la principale source de financement (à deux-tiers en moyenne) de la sécurité sociale.

Sécurité sociale des travailleurs salariés

Les travailleurs d’une part, les employeurs d’autre part, payent des cotisations calculées proportionnellement au salaire brut des travailleurs.

Ces cotisations sont prélevées par l’ONSS (Office national de sécurité sociale) et ensuite réparties dans les différents secteurs.

Secteurs Cotisations trav (%) Cotisations patron (%) Cotisations totales(%)
Maladie-invalidité
soins de santé 3,55 3,80 7,35
indemnités 1,15 2,35 3,50
Chômage 0,87 1,46 2,33
Pensions 7,50 8,86 16,36
Prestations familiales 0,00 7,00 7,00
Accidents du travail 0,00 0,30 0,30
Maladies
professionnelles
0,00 1,00 1,00
Total 13,07 24,77 37,84

Source: Sécurité sociale (01/01/10)

Les employeurs doivent payer encore d’autres cotisations sociales:

Les employeurs doivent également payer une cotisation de modération salariale de 5.67%, et diverses autres cotisations finançant le fonds de fermeture d’entreprises, les groupes à risque etc…

Pour les ouvriers, l’employeur paye également une cotisation de 6% pour financer les vacances annuelles.

Mais diverses mesures visant à améliorer la compétitivité réduisent fortement les cotisations patronales

Sécurité sociale des travailleurs indépendants

Les travailleurs indépendants doivent verser une cotisation de sécurité sociale trimestrielle à la caisse d’assurances sociales à laquelle ils sont affiliés. Cette cotisation est calculée sur la base des revenus professionnels nets du travailleur indépendant perçus durant la 3ème année civile (l’année de référence) qui précède l’année de payement de la cotisation. Les taux de cotisations sont variables selon l’importance du revenu professionnel et selon le statut de l’indépendant (à titre principal ou à titre accessoire).

Les indépendants qui prévoient une baisse importante de leurs activités peuvent demander une diminution des cotisations.

Les indépendants débutants qui n’ont pas encore de revenus de référence payent une cotisation calculée sur une base provisoire.

L’INASTI (Institut national d’assurances sociales des travailleurs indépendants) contrôle l’ensemble du système et veille à ce que tous les travailleurs indépendants payent régulièrement leurs cotisations.

Les subsides de l’état: 10,4%

L’État intervient dans le financement pour assurer la stabilité du système et éponger les déficits chroniques dans certains secteurs et pour compenser l’extension de la solidarité à des catégories qui ne cotisent pas directement.

Le financement alternatif: 21,6%

Le financement alternatif est constitué d’un pourcentage des recettes de la TVAtip.

Organisation du régime des travailleurs salariés

Graph organisation du regime des travailleurs salaries

Organisation du statut social des travailleurs indépendants

Graph organisation du statut social des travailleurs salaries

Et pour ceux qui n’ont pas droit à la sécurité sociale?

Pour ceux qui ne peuvent avoir droit à la sécurité sociale, il existe un second filet de protection sociale: l’aide sociale (ou assistance sociale).

L’aide sociale est accordée à des personnes qui ne disposent pas de revenu ou des revenus très faibles sans qu’on leur demande d’avoir travaillé et cotisé auparavant.

Parmi ces aides, on trouve le Revenu d’intégration sociale (RIS) et l’aide sociale accordés par les CPAS, les allocations pour les personnes handicapées, la garantie de ressources aux personnes âgées (GRAPA), les prestations familiales garanties.

C’est un droit résiduaire qui ne s’ouvre qu’à défaut de droit à la sécurité sociale et après enquête sur l’état de besoin. Pour y avoir droit, il faut avoir des revenus faibles. Nous développerons l’aide sociale plus loin. (Voir fiche « L’aide sociale accordée par les CPAS« )

La charte de l’assuré social

Les administrations qui mettent en œuvre la protection sociale (l’ONEM, les CPAS, l’INAMI etc…) doivent respecter certaines règles qui protègent le citoyen. Ces règles sont définies dans la Charte de l’assuré social.

  • Devoir d’information: L’administration est tenue d’informer la population le plus clairement possible de ses droits. Un assuré social peut poser lui-même des questions spécifiques à une administration. L’administration doit prendre elle-même des initiatives pour informer la population.
  • Devoir de traitement des dossiers dans un délai court: L’administration devra répondre à toute demande de prestations dans les plus brefs délais. La décision devra être communiquée dans les quatre mois. La prestation doit être payée dans les quatre mois suivants. En cas de retard, l’administration devra payer des intérêts au bénéficiaire.
  • Devoir de transmission: Lorsqu’une administration n’est pas compétente pour traiter une demande, elle doit elle-même transmettre cette demande à l’administration compétente. C’est la date de réception auprès de la première administration qui vaut comme date d’introduction
  • Mentions obligatoires dans les décisions: L’administration doit mentionner dans toutes les décisions envoyées à l’assuré social les références du dossier, les éléments juridiques qui justifient sa position, les modalités de recours, etc.
  • Révisions des décisions incorrectes: Si l’administration découvre qu’elle a fait une erreur, une nouvelle décision sera prise. Si cette nouvelle décision est négative pour l’assuré social (par exemple si, après la révision, la prestation est moins importante qu’avant), la décision n’aura aucune force rétroactive (elle ne vaut que pour le futur). Ce n’est qu’au cas où la décision initiale plus avantageuse aurait été obtenue par fraude de la part de l’assuré social que celui-ci devra rembourser les prestations qu’il a reçues indûment.
  • Droit de recours: Les décisions prises par une administration gérant la protection sociale peuvent toujours être contestées devant le Tribunal du travail. Le délai de recours auprès d’un tribunal est de trois mois.

 

Un grand dispositif d’équipement social

À côté de la sécurité sociale et de l’aide sociale, les pouvoirs publics soutiennent également financièrement un très grand nombre d’initiatives sociales développées notamment par des associations (les asbl). Les domaines d’intervention de ces institutions sont très variés: l’aide aux familles, à la jeunesse, aux personnes âgées, aux personnes handicapées, aux justiciables, l’aide à la recherche d’emploi, l’aide au logement, la prévention psycho-médico-sociale etc…

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Emile Vandervelde (1866-1938) https://commission-des-pensionnes.cgsp-admi-mons.be/emile-vandervelde-1866-1938/ Tue, 11 Feb 2020 09:57:12 +0000 https://commission-des-pensionnes.cgsp-admi-mons.be/?p=319

Emile Vandervelde (1866-1938)

Emile Vandervelde, homme politique socialiste, naît à Ixelles en 1866. Issu d’une famille aisée – son père est magistrat – il est frappé par l’écart entre la pauvreté qu’il observe et le milieu auquel il appartient. Aussi rejoindra-t-il très jeune le socialisme et participera-t-il en 1885 à la fondation du Parti ouvrier belge (P.O.B.).

Docteur en droit (ULB 1885), docteur en sciences sociales et docteur spécial en économie politique (ULB 1892), il participa très activement à la grève générale pour le suffrage universel de 1893. Il rédige le document qui deviendra la charte du parti en 1894, la Déclaration de Quaregnon. Elu député en 1894, il dirigea le groupe parlementaire socialiste jusqu’à sa mort. Il s’intéressa particulièrement à la Chambre, avant la Première Guerre mondiale, aux problèmes du Congo, de l’alcoolisme et de la politique étrangère.

Alors qu’il avait été délégué à tous les congrès de la IIème Internationale dont il sera élu en 1900 à Paris, président du Comité exécutif, il se rallia à la veille de la Première Guerre mondiale à l’effort de guerre.

Il devint ministre d’Etat en 1914, fit partie du gouvernement en exil au Havre et fut un des signataires du traité de Versailles. Ensuite ministre de l’Intendance (1918), ministre de la Justice (1921), ministre des Affaires étrangères (1927), et ministre de la Santé publique (1935), il attacha son nom à d’importantes réformes.

Il était également professeur à l’université libre de Bruxelles depuis 1925.

Dès 1936, Vandervelde s’attacha passionnément à la défense de la République espagnole. En janvier 1937, opposé à la reconnaissance du gouvernement de Burgos par la Belgique, en opposition aussi avec De Man, ministre des Finances, et Spaak, ministre des Affaires étrangères dans ce même gouvernement présidé par Paul Van Zeeland, Emile Vandervelde démissionna de ses fonctions ministérielles et se consacra dès lors à la lutte contre le fascisme. On peut dire de celui que ses camarades appelaient « le patron » qu’il marqua très profondément le socialisme belge. Dans un parti où coexistaient « réformistes » et « révolutionnaires », Emile Vandervelde apparaît comme un centriste dont la personnalité domine les congrès par son adresse et son éloquence. Rassembleur du mouvement socialiste belge, il réussit dans les controverses qui divisent le parti à faire l’unanimité avec une conclusion modérée qui suit une affirmation de principe radicale. Il aura prêté, suivant les termes de Marcel Liebman, « au réformisme les couleurs plus éclatantes de l’audace et au pragmatisme les allures plus altières des grands projets sociaux (Les socialistes belges , Bruxelles, 1979, p. 259). Il est l’auteur d’un nombre impressionnant d’ouvrages de sciences politique et d’économie.

Il décède à Bruxelles en 1938.

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La Charte de Quaregnon : retour sur la déclaration de foi des socialistes https://commission-des-pensionnes.cgsp-admi-mons.be/la-charte-de-quaregnon-retour-sur-la-declaration-de-foi-des-socialistes/ Tue, 11 Feb 2020 09:49:02 +0000 https://commission-des-pensionnes.cgsp-admi-mons.be/?p=312

La Charte de Quaregnon : retour sur la déclaration de foi des socialistes

Pour tout militant socialiste, la Charte de Quaregnon est le document de référence. Elle représente les fondements du socialisme en Belgique, elle symbolise les valeurs, l’idéal auquel les socialistes croient. Tel était d’ailleurs le but poursuivi par le jeune Parti Ouvrier Belge (POB), né en avril 1885 qui, se rendant compte en 1893 que son programme nécessitait déjà quelques adaptations et devrait sans cesse être adapté, souhaita donc se doter d’un texte doctrinal, moins sujet aux modifications par essence. C’est ainsi qu’est née cette charte, adoptée le 26 mars 1894 lors du 10ème congrès du POB qui se tint dans la ville du même nom, près de Mons dans le Borinage. Cette année, cette vénérable vieille dame fête donc ses 120 ans ! Et pourtant, ce texte si souvent invoqué reste peu connu des plus jeunes.

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Les ouvriers mineurs dans la cage, photographie, s.d, Coll. ALPHAS

Avant de rappeler le contenu de cette charte, il convient de le situer dans son contexte sociétal. Les ouvriers venus travailler dans les centres miniers, métallurgiques et textiles sont alors véritablement exploités par la bourgeoisie dirigeante, leurs droits sont presque inexistants, leurs conditions de vie et de travail sont désastreuses : emploi précaire, salaires de misère qui obligent les femmes et les enfants eux aussi à travailler pour assurer la subsistance de la famille (avant 1889, il n’était pas interdit de faire travailler les enfants de moins de 12 ans ; certains d’entre eux commençaient dès l’âge de 6 ans et n’allaient donc pas à l’école), journées de travail de 12 heures, cadence de travail infernale, pas de congés payés, syndicats et grèves interdits, logements exigus et insalubres, hygiène inexistante, malnutrition courante… Du suffrage censitaire basé sur les ressources financières, autrement dit, excluant les pauvres, on n’est passé le 18 avril 1893 au vote plural où tout homme de plus de 25 ans a droit à une voix mais où certains électeurs (pères de famille, propriétaires ou capacitaires – détenteurs d’un diplôme d’enseignement secondaire) peuvent cumuler jusqu’à trois voix.

Cette charte peut se résumer en quelques points. Le POB se pose en défenseur de la classe ouvrière et de tous les opprimés, sans distinction de nationalité, de culte ou de sexe. Il prône une société égalitaire et solidaire où les classes sociales en particulier ne formeraient qu’une, où tout être humain bénéficierait de la plus grande liberté et du plus grand bien-être possible, le principal moyen d’atteindre cet objectif étant que tout le monde travaille au bien commun sous l’égide de l’Etat. Le POB rappelle aussi dans cette charte qu’il convient d’œuvrer avec les Socialistes de tous les pays pour que cet idéal s’impose dans le monde entier.

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Emile Vandervelde, carte postale, éd. d
e l’Eglantine, Bruxelles, s.d.

Le principal rédacteur de cette charte n’est autre qu’Emile Vandervelde, alors jeune intellectuel. Par cette charte, il réussit à concilier l’influence du socialisme allemand (Marx, Engels, Ferdinand Lassalle…), basé sur l’action, plus terre à terre, surtout marqué en Flandre, et celle du socialisme français (Jean Jaurès, Proudhon, Charles Fourier, Saint-Simon…), plus idéaliste et qui trouve ses racines dans le siècle des Lumières (Voltaire, Rousseau, Diderot) et la Révolution française avec ses principes de liberté, égalité, fraternité, influence plus marquée en Wallonie. L’influence allemande est néanmoins un peu plus prédominante, d’autant que la Flandre avec Bruxelles constituait l’essentiel du contingent du Parti. Vandervelde réussit aussi à concilier avec ce texte le courant révolutionnaire et le courant plus pragmatique. Il fut également influencé par les autres penseurs du socialisme belge : César De Paepe, Louis de Brouckère, Alfred Defuisseaux et son célèbre Catéchisme du Peuple diffusé quelques mois avant, et surtout celui qu’il considère comme son maître Hector Denis.

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Panorama du centre de Quaregnon,
carte postale, éd. U. Plumat, Quaregnon, s.d.

Son texte fit l’objet de débats lors du congrès de Bruxelles des 25 et 26 décembre 1893 avant d’être donc adopté à Quaregnon. A noter qu’initialement le congrès de Quaregnon devait se tenir à Mons mais celui-ci fut déplacé à la demande des Borains qui gardaient en mémoire la tournure sanglante prise par la manifestation qu’ils avaient organisée à Mons en faveur du suffrage universel le 17 avril 1893.

 

 

 

 

 

 

Guillaume Rimbaud – ALPHAS, Août 2014

Sources principales :

  • La Charte de Quaregnon : déclaration de principes du Socialisme belge : histoire et développements, éd. de la Fondation Louis de Brouckère, Bruxelles, 1980
  • La Charte de Quaregnon 1894-1994 : étude pédagogique, éd. Présence et Action Culturelles, Bruxelles, 1994
  • Wikipédia.
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